Dossier collectif IA44008991 | Réalisé par
Plotard Rémi (Contributeur)
Plotard Rémi

Chargé de mission Inventaire - Syndicat mixte du SCoT et du Pays du Vignoble Nantais

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  • enquête thématique départementale, Pays du vignoble nantais
Cuves de négoces en Vignoble nantais
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  • (c) Région Pays de la Loire - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Dénominations
    cuvage
  • Aires d'études
    Pays du vignoble nantais

Au-delà d'un solide réseau commercial, deux éléments sont indispensables à un négoce de vins : le transport et le stockage. Si le transport peut-être externalisé, la nécessité de stocker le vin (de "loger" le vin) ne connaît quasiment pas d'exception[1]. Ce stockage a plusieurs usages. Il peut être un stockage de transit ou un stockage de "travail". Le stockage de transit consiste en l'achat et en la revente de vins finis, ne nécessitant aucun traitement supplémentaire. La principale valeur ajoutée par le négociant résidera alors dans les opérations de transport et de conditionnement. Le stockage de travail peut prendre des formes diverses : il peut s'agir de stocker des vins pour les assembler ou les couper, ou bien de stocker des moûts pour les vinifier.

Tous types de cuves peuvent se prêter à ces différentes opérations : diverses pratiques coexistent, et des évolutions sont notables au cours du XXe siècle. Toutes ont cependant en commun un grand principe : celui de la concentration des vins en un même lieu, ce qui constitue le cœur du métier de négociant.

I - Les fûts

1. Typologie des fûts

La famille de la "futaille", tels que sont familièrement nommés les fûts, est riche d'une grande variété de contenances et de dénominations, qui varient d'un territoire à l'autre. Dans le Vignoble nantais les tonneaux les plus imposants, utilisés comme stockages permanents (ou pour le transport) sont les tonnes, aussi nommées  "mi-muids" – de 600 litres. Ce type de stockage a été utilisé par plusieurs négociants locaux, tels Jules Olivier (Haute-Goulaine, IA44008977) ou Fernand Bureau (Vallet, IA44008989) : ce dernier en fait usage pour récupérer des vins d'Algérie achetés en gros au port de Nantes.

La barrique (225 litres), très employée dans un premier temps, semble avoir vu son usage décroître au cours du second quart du XXe siècle, notamment au motif de son poids trop important (de 280 à 300 kilos). Elle était l'unité de vente de négociants comme Jules Olivier et était aussi utilisée par les négoces Durand (non étudié) ou Giraud (IA44008978). Elle entre cependant en concurrence avec les demi-barriques (110 litres environ), qui, plus légères, peuvent être "roulées" et facilitent grandement les livraisons. Pour cette raison elle devient l'unité de vente privilégiée du négoce Bureau et est employée par la plupart des négoces. C'est en revanche plutôt sur le souhait de la clientèle que les "quarts" de barrique se répandent et intègrent la futaille couramment employée. D'une contenance de 60 litres environ ils intéressent des particuliers ou des cafés souhaitant une plus grande variété de vins. On assiste globalement, à compter de l'après-guerre, à une réduction (en contenance) de l'unité de vente, qui trouve son apogée dans l'explosion de l'embouteillage, au cours des années 1960. Le stockage ultime du vin devient de plus en plus fréquemment la bouteille, d'une contenance d'un litre, livrée en casiers bois puis en casiers plastiques.

2. Entre cuve et fût

Le tonneau est le principal moyen de stockage des vins jusque dans les années 1920 – en l'absence d'alternatives faciles d'accès pour du stockage de grande capacité. Les chais sont donc dimensionnés pour recevoir des fûts (à ce propos cf. le dossier collectif portant sur les chais de négoce). Le stockage offert par un alignement de barriques est cependant faible. De leur forme circulaire et de la difficulté à les stocker en hauteur découle un usage médiocre de l'espace disponible.

Ainsi une catégorie un peu à part de la futaille connaît un certain succès jusque dans les années 1970. Il s'agit des stockages en bois de forte dimension, impropres au transport et qui peuvent souvent être considérés comme immeubles par nature. Il s'agit la plupart du temps de "foudres", des tonneaux de très forte dimension (plusieurs hectolitres), montés directement dans les chais et ne pouvant en être extraits sans démontage. On en trouve un exemple au négoce Thébaud (Saint-Fiacre-sur-Maine), où le foudre a autant utilité de stockage que d'ornement, puisqu'il occupe le fond du caveau de dégustation destiné à la réception de la clientèle. D'autres négoces en ont fait usage (Olivier à Haute-Goulaine, Bahuaud à la Chapelle-Heulin, Libeau sur son site de Carquefou).

Le foudre résiste cependant difficilement à la diffusion des cuves maçonnées, qui promettent des capacités de stockage supérieures et un entretien réduit, au prix d'un investissement supérieur. En réaction le stockage en bois se diversifie avec l'apparition de véritables "cuves" en bois : en forme de parallélépipède, elles s'éloignent encore du tonneau traditionnel. Elles occupent davantage de place en hauteur et peuvent facilement être alignées les unes à côté des autres. Le plus bel exemple en Vignoble nantais nous est donné par l'atelier de tonnellerie de Jean Dabin, à Saint-Fiacre-sur-Maine : il propose ainsi, dans les années 1960, une cuve à forte capacité : la "Roda". En bois armé de tiges de fer, des problèmes d'étanchéité l'empêchent néanmoins de s'imposer. Sa remplaçante, la "Dabois", connaît en revanche une large diffusion. Elle est notamment employée au négoce Métaireau, qui en conserve plusieurs exemplaires.

Tout comme les fûts en général, ce type de cuve cohabite avec les cuves maçonnées : la substitution s'effectue sur le temps long. L'usage intensif des fûts et de la cuverie de bois tend cependant à s'éteindre à compter du milieu du XXe siècle.

 3. Vers un abandon des stockages en bois

Les tonneaux sont d'autant plus volontiers laissés de côté qu'ils présentent des défauts évidents. Ils sont en effet compliqués d'entretien et nécessitent un nettoyage systématique et soigneux après usage. Plusieurs chais sont dotés de zones spécifiquement réservées à leur lavage : c'est le cas du négoce Thébaud ou du négoce Cormerais (Vallet). Il faut également les "mécher", avec du souffre : ces étapes sont indispensables pour éviter mauvaises odeurs et contamination par des bactéries. Les tonneaux sont également dangereux lors de leur manipulation : des accidents surviennent fréquemment lors des livraisons qui nécessitent de descendre des escaliers ; dans les chais des drames se produisent, qui voient des travailleurs écrasés par des tonneaux. Enfin, les fûts réclament des réparations et n'ont qu'un nombre d'usage limité. Ceci explique notamment la profusion de tonneliers dans les communes du vignoble jusqu'au milieu du XXe siècle. De la même façon, les plus grands négoces entretiennent leurs propres tonneliers pour réduire les coûts, tels le négoce Baud à la Haye-Fouassière (non étudié) ou le négoce Bahuaud (La Chapelle-Heulin).

Malgré leurs défauts, les fûts conservent longtemps une place dans les chais de négoce : ils demeurent ainsi en usage au négoce Bahuaud jusque dans les années 1980. Les fûts en bois sont parfois remplacés par des fûts en plastique : ceux-ci sont cependant mal acceptés par les clients, dans l'esprit desquels ce type de stockage est réservé aux produits chimiques. L'abandon du fût comme stockage de masse est cependant inéluctable. Son statut change fondamentalement : il se pare peu à peu des attributs de la tradition et de la qualité. Il est réservé à des cuvées particulières et est indissociable de tout chai servant à la réception de la clientèle (par exemple au négoce Thébaud, au négoce Chéreau-Carré, au négoce Sauvion.

Le stockage en bois, malgré son importante production locale et ses nombreuses déclinaisons échoue donc à répondre totalement à l'accroissement de la production des vins nantais. C'est ainsi que durant l'entre-deux-guerres le recours à la cuverie maçonnée se fait plus fréquent dans les négoces du vignoble.

 

II - Les cuves maçonnées

1. Typologie des cuves maçonnées

Les cuves maçonnées peuvent être de deux types : les cuves aériennes et les cuves enterrées. Le béton y est mis en œuvre, puis le béton armé. Ces cuves maçonnées font probablement leur apparition au début du XXe siècle : on en trouve par exemple trace dès 1903 en Lorraine[2]. En cela on peut les considérer comme faisant partie de la modernisation des vignobles dans le contexte de l'après-phylloxéra. Elles répondent surtout à un besoin croissant de stockage, dans un contexte d'extension des surfaces plantées. La cuve aérienne notamment se répand, sa version enterrée nécessitant d'importants travaux de terrassement. Le coût important de ces nouveaux stockages maçonnés les réserve à des domaines importants. Un article de 1921, paru dans La Mouette (un journal édité à la Baule) évoque les "grandes exploitations [où] on construit beaucoup de cuves en ciment avec revêtement de verre".

Car c'est la deuxième catégorisation qu'on peut appliquer à la cuve maçonnée : celle de l'habillage. Celui-ci peut être absent (on parle alors de "ciment lissé") ; il peut s'agir de plaques de verre (on dit alors que la cuve est "verrée") ; on peut également y appliquer des carreaux de grès (elle est "carrelée") ; enfin, les techniques plus modernes consistent à réaliser l'habillage avec de la résine époxy, voire des plaques d'acier inoxydable. Le ciment lissé semble avoir été le plus en usage dans un premier temps : il posait cependant le problème de l'affranchissement de la cuve, opération par laquelle le ciment qui la compose est rendu inattaquable par l'acidité du vin ou du moût. Si divers produits ont pu être utilisés à cette fin[3], la méthode la plus efficace consiste à utiliser un revêtement supplémentaire par-dessus le ciment : l'article de 1913 du Populaire de Nantes conseille ainsi le ciment lissé pour les régions sèches, tandis qu'il recommande le verre pour les "régions tempérées et froides, où l'humidité fréquente favorise le développement des moisissures et des micro-organismes" ; la comparaison est faite avec une "immense bouteille, propre, facile à nettoyer". Une comparaison que l'on retrouve dans des publicités anciennes où l'image de la bouteille est volontiers mobilisée.

Le verre semble ainsi le matériau idéal pour l'habillage des cuves. Il possède néanmoins un défaut important : sa fragilité. Il se brise aisément et nécessite un entretien régulier et scrupuleux. Les carreaux de verre cassés doivent être rapidement changés. Ceci sous peine que le vin s'infiltre sous l'habillage, abime le ciment et gâte toute une cuvée. Cela est particulièrement vrai pour les cuves aériennes, soumises à des fluctuations de températures plus importantes : les phénomènes de contraction et de dilatation y sont plus importants que dans les cuves enterrées.

Si les cuves souterraines sont plus coûteuses que leurs versions aériennes, elles possèdent en effet le grand avantage de garantir une certaine stabilité des températures, qui facilite la bonne conservation des vins. Elles sont souvent de grandes capacités.  Les négoces font donc usage de ces cuves enterrées, que l'on retrouve aussi volontiers chez les viticulteurs. Ces cuves sont accessibles par une unique trappe sommitale qui facilite le suivi de la vinification. Sur le plan formel les cuves enterrées ne connaissent pas d'évolution. Leur bonne inertie thermique autorise un usage plus simple des carreaux de verre, qui se brisent plus difficilement. Leurs trappes s'ouvrent en général directement dans les espaces de circulation. Les cuves souterraines présentent l'avantage d'optimiser l'espace utilisé, dans des chais où il s'agit souvent d'un enjeu important.

De leur côté, les cuves aériennes possèdent l'avantage d'être munies de jauges facilitant nettement les opérations d'assemblage des vins – ou de coupage. Le soutirage est aussi plus simple, le vin pouvant s'écouler par simple gravité. Le remplissage peut également être simplifié : on trouve ainsi un système de cuves aériennes à débordement au négoce Giraud, qui fait usage de la dénivellation pour remplir une série de cuves à partir d'un unique point d'écoulement. Le négoce Chéreau-Carré utilise de façon similaire la topographie pour remplir une juxtaposition de trois séries de cuves aériennes et enterrées. La cuve aérienne se trouve ainsi être le choix idéal pour un négoce qui réaliserait des assemblages avant de revendre ses vins, mais ne serait pas intéressé par la vinification de moûts.

2. Les cuves maçonnées en Vignoble nantais

Sur la zone d'étude c'est très majoritairement le verre qui est utilisé pour habiller les cuves des négoces. Ces cuves sont principalement aériennes, bien qu'une part importante des négoces du corpus soient dotés de cuves aériennes et enterrées.

Diffusion et évolution des cuves maçonnée

La diffusion des cuves maçonnées en Vignoble nantais semble avoir été relativement lente. L'investissement important que représente leur construction se conjugue en effet mal avec la petitesse de la propriété viticole et la polyculture qui caractérisent ce vignoble. Ceci est d'autant plus vrai pour les cuves enterrées, qui réclament des investissements plus lourds. Leur apparition en Vignoble nantais semble avoir été relativement tardive. Ce type d'équipement semble peu abordable pour les négociants nantais : ainsi en 1921, "l'Entrepôt général des vins et alcools" déclare "[tenir] à disposition de MM. les négociants en vins et propriétaires viticulteurs" un "chai moderne" comprenant de nombreux matériels (type pompes ou tireuses) ainsi que "plus de 25 000 hectolitres" de cuves en "ciment verré". Sur le plan financier les investissements dans de telles cuves est logiquement plus difficile encore pour le négoce "d'extraction rurale"[4] du Vignoble nantais.

La dimension d'un établissement est donc un critère essentiel pour voir apparaître ces premières cuves maçonnées. Dès lors, les négoces étant les plus concernés par le stockage d'importantes quantités de vin ils sont malgré tous les mieux placés pour financer ces investissements. Un article de 1913, paru dans Le Populaire de Nantes, évoque ainsi "les négociants, dont les opérations sont continuelles" et auxquels il recommande la construction de cuves verrées. Il est probable qu'un négoce comme celui des du père, puis des frères, Baud à la Haie-Fouassière (au lieu-dit le Port) ait été équipé de telles cuves : en activité des 1925, l'activité y était l'une des plus importantes du vignoble de Nantes[5]. Une étude supplémentaire serait en revanche nécessaire pour espérer comparer l'équipement en cuverie maçonnée des négoces d'une part et des viticulteurs d'autre part. Un autre critère est celui des compétences : le savoir-faire nécessaire à la construction de telles cuves a pu parvenir tardivement en région nantaise. Ainsi c'est à un constructeur bordelais que le négociant Auguste Métaireau fait appel, dans les années 1920, pour construire ses cuves. Des maçons parisiens se déplacent également dans le vignoble pour y construire des cuves en béton armé : c'est alors qu'il travaillait pour une de ces entreprises que le maçon d'origine italienne Sante Bucciol choisit de s'installer à Vallet, au début des années 1930. Il compte, parmi ses confrères bâtisseurs de cuves, le maçon Pellouet ainsi que les frères italiens Belloli, tous en activité à Vallet. Ces artisans sont à l'origine de la diffusion massive, à travers tout le vignoble, des cuves maçonnées.

Les plus anciennes cuves effectivement repérées sont celles du commerce Métaireau à Aigrefeuille et du commerce Defontaine au Pallet, qui datent probablement de la décennie 1920. Dans les deux cas il s'agit d'installations relativement modestes, d'environ 1200 hectolitres pour le premier et inférieure à 300 hectolitres pour le second. Leur ancienneté est discernable par la forme de leurs trappes, en plein cintre, qui devaient autrefois être munies de portes en bois. Ces trappes ont aussi la particularité d'être au même niveau que le fond de la cuve et d'être prolongées par un bec en métal, plat, sans doute utile à l'écoulement des fonds de cuve. On ne trouve plus ce type d'ouvertures après 1930 : la forme des trappes tend alors vers l'ovale ; les ouvertures sont percées plus haut et non plus au niveau du fond des cuves ; les portes sont en métal. Une fois adoptée, cette physionomie de la cuve aérienne ne connaît plus d'évolution notable dans les décennies qui suivent. L'habillage seul est revu : une partie des cuves du négoce Bahuaud est ainsi remise en service par le retrait des carreaux de verre, qui étaient brisés, et l'application de résine époxy. D'autres adaptations sont possibles, à la marge : par exemple les trappes des cuves du commerce Defontaine sont reprises, pour leur donner une forme ovale ; les portes des trappes sont changées pour des modèles en acier inoxydable.

Type et proportion des cuves maçonnées

À l'exception des trois négoces sélectionnés les plus anciens (Piou du Pallet, Fontaine de la Chapelle-Heulin et Guilbaud de Vallet) tous les autres sélectionnés sont équipés de cuves aériennes. Au sein des repérés on peut estimer qu'au moins 50 % d'entre eux possédaient des cuves aériennes (tous les négoces n'ayant pas pu être visité ce chiffre est probablement plus élevé en réalité). Cet équipement devient la norme, pour les négoces, à compter des années 1940 : aucun des bâtiments visités qui sont postérieurs à cette date n'en est dépourvu.

Sur le plan de l'agencement, la cuverie aérienne fait généralement un usage simple et fonctionnel de l'espace. La relative petite taille des négoces n'autorise pas à leur conférer un aspect monumental : aucun des chais étudiés ne présente les dimensions remarquables des cuveries "cathédrales" de certaines coopératives vinicoles du sud de la France – qui s'étagent sur deux à trois niveaux le long de vastes nefs, s'achevant parfois sur des séries de cuves en abside (cf. par exemple IA11001533 et IA11001512, région Occitanie). En Vignoble nantais les superpositions de cuves sont peu fréquentes : huit négoces possèdent cette caractéristique sur les 39 négoces pour lesquels l'information est connue. Un seul présente des cuves sur trois niveaux : il s'agit des établissements Chéreau-Carré, à Saint-Fiacre-sur-Maine. L'un de ces niveaux est enterré et desservi par un couloir de service. Il présente toutes les caractéristiques propres aux cuves aériennes (trappe et jauge en façade, absence de trappes pour un accès sommital) : on retrouve cette configuration de cuves "aériennes enterrées" dans trois autres négoces : Bahuaud et Guéry (non étudié), à la Chapelle-Heulin, Bonnet (non étudié) à Vallet.

La cohabitation de ce type de cuves (ou bien de cuves enterrées plus classiques) concerne plus de la moitié des bâtis sélectionnés. Si la cuve aérienne est réellement indissociable du négoce de la seconde moitié du XXe siècle, la cuve souterraine est aussi très employée. Soit qu'il s'agisse d'optimiser l'espace au sein du chai, soit que le négoce en question travaille des moûts et souhaite utiliser ces cuves enterrées pour réaliser ces vinifications. Un des quais du négoce Bahuaud est ainsi percé de trappes donnant accès à des cuves enterrées : elles autorisaient le stockage de "petits vins" qui n'étaient pas destinés à faire l'objet d'assemblage, mais étaient rapidement réexportés. Il s'agissait de ne pas encombrer la cuverie aérienne de l'établissement. D'autres cuves enterrées, situées cette fois dans les bâtiments, servaient à la vinification. De plus, de nombreux négociants possédant des vignes, les récoltes (sous forme de vins ou de moûts) issues de la société viticole pouvaient être cédées à la société de négoce – et vinifiées dans les chais de celles-ci.

Enfin, il importe de noter que l'agencement des cuves des négociants du vignoble de Nantes est directement lié aux agrandissements successifs dont leurs chais ont fait l'objet[6]. La multiplicité de négoces de petites tailles ; l'isolement relatif de ces acteurs les uns par rapport aux autres ; leur développement progressif jusqu'au début des années 1990 : tous ces éléments n'ont pas permis de penser des projets massifs autorisant la construction de cuveries réellement ambitieuses. Ceci à quelques rares exceptions : on peut notamment citer les Caves de vinification de la Vallée ligérienne, au Landreau. Il s'agit d'un vendangeoir bâti par le négoce Subileau en 1998, qui stocke jusqu'à 20 000 hectolitres de moûts dans un objectif de vinification. Dernier avatar du négoce local, ces chais incarnent les transformations à l'œuvre dans les manières de commercialiser le vin, à savoir une concentration des stocks et le contrôle d'une part croissante des étapes de production. Il devient ainsi nécessaire aux négoces de massifier leur cuverie pour espérer survivre dans un environnement devenu très compétitif : ceci s'illustre par la concentration progressive du négoce entre les mains de quelques entreprises seulement. Certains négoces font au contraire le choix de réduire drastiquement l'usage de leurs cuves, pour privilégier l'embouteillage : c'est notamment le cas du commerce Loiret, au Pallet.

[1] Cette étude n'a mis qu'un seul cas en évidence, celui de Michel Bahuaud, "négociant sans magasin", dont l'activité centrée sur l'export le plaçait à mi-chemin entre un courtier et un négociant au sens usuel du terme.

[2] Cf. https://inventaire.grandest.fr/gertrude-diffusion/dossier/IA54002212, région Grand-Est.

[3] Archives départementales de Loire-Atlantique, Bulletin du syndicat central des agriculteurs de la Loire-Inférieure, n° 800, 20 juin 1925.

[4] L'expression est de Raphaël Schirmer : SCHIRMER Raphaël, Muscadet, histoire et géographie du vignoble nantais, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010, p. 121.

[5] Les bâtiments du négoce Baud sont aujourd’hui en grande partie détruits, à l'exception d'un hangar reconverti ainsi que de maisons d'ouvriers.

[6] Sur ce point, cf. le dossier collectif portant sur les chais.

Documents d'archives

  • Archives départementales de Loire-Atlantique. La Mouette, n° du 2 octobre 1921.

    Archives départementales de Loire-Atlantique, Nantes
  • Archives départementales de Loire-Atlantique. Le Populaire de Nantes, n° du 17 août 1913.

    Archives départementales de Loire-Atlantique, Nantes
  • Archives départementales de Loire-Atlantique. L’Écho de la Loire, n° du 4 mars 1913.

    Archives départementales de Loire-Atlantique, Nantes

Bibliographie

  • DELANOË, Dominique, MAILLARD Christian, MAISONDIEU Dominique. Le vin : De l'analyse à l'élaboration, Lavoisier, 2012.

  • SCHIRMER Raphaël. Le Muscadet : histoire et géographie du vignoble nantais. Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, 2010. 533 p. (Grappes et Millésimes).

  • Caves coopératives en Languedoc Roussillon, Région Occitanie, Éditions Lieux-Dits, 2017.

Documents multimédia

  • Témoignage de Jean-Yves Buciol, petit-fils de Sante Bucciol, maçon au bourg de Vallet.

    Musée du Vignoble Nantais, Le Pallet
  • Témoignage d’un ancien employé du négoce Beauquin-Sautejeau, donné sous couvert d'anonymat.

    Musée du Vignoble Nantais, Le Pallet
  • Témoignage de Michel Bahuaud, négociant, fils de Donatien Bahuaud, négociant, recueilli le 23 mai 2022. (Musée du Vignoble Nantais du Pallet).

Date(s) d'enquête : 2021; Date(s) de rédaction : 2023
(c) Région Pays de la Loire - Inventaire général
(c) Syndicat Mixte du SCoT et du Pays du Vignoble Nantais
Plotard Rémi
Plotard Rémi

Chargé de mission Inventaire - Syndicat mixte du SCoT et du Pays du Vignoble Nantais

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