Dossier collectif IA44008990 | Réalisé par
Plotard Rémi (Contributeur)
Plotard Rémi

Chargé de mission Inventaire - Syndicat mixte du SCoT et du Pays du Vignoble Nantais

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  • enquête thématique départementale, Pays du vignoble nantais
Chais de négoce en Vignoble nantais
Auteur
Copyright
  • (c) Région Pays de la Loire - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Dénominations
    chai
  • Aires d'études
    Pays du vignoble nantais

I - Présentation du corpus

1. Aire géographique

Le repérage des chais des négociants du vignoble nantais a débuté en 2021 et s'est poursuivi jusque dans les derniers mois de l'opération, en 2023. Ce repérage concernait l'ensemble des 29 communes faisant partie du Syndicat du Vignoble Nantais (28 communes depuis le départ de la commune de Basse-Goulaine).

Dans les faits, des négoces n'étaient présents que dans 18 communes, dont 2 ne comportent que des bâtiments recensés et aucun repérés. Ces communes sont les suivantes : [Aigrefeuille, Boussay (recensés uniquement), La Chapelle-Heulin, Clisson, Divatte-sur-Loire, Gorges, Haute-Goulaine, La Haye-Fouassière, Le Landreau, Le Loroux-Bottereau, Maisdon-sur-Sèvre, Monnières (recensés uniquement), Mouzillon, Le Pallet, Saint-Fiacre-sur-Maine, Saint-Julien-de-Concelles, Vallet, Vertou].

2. Méthodologie

Après une première tentative de recensement directement sur le terrain, fin 2020, il est rapidement apparu que cette méthode ne pourrait porter de fruits : le bâti du négoce, à la fois dispersé et discret, ne peut être mis en évidence qu'à travers un travail de récolte de la mémoire orale, d'une part, et d'étude des sources archivistiques, d'autre part. La participation à l'étude des associations patrimoniales du vignoble nantais (rassemblées dans l'association Forum) s'est donc avérée décisive : le dépouillement des recensements de population, d'actes notariés, des archives possédées par ces associations (dont de la presse), a permis de repérer un nombre important de négociants ayant eu une activité sur le territoire concerné par l'étude, entre le XVIIIe et le XXe siècle.

Une fois ces noms obtenus, chacun en lien avec une commune, il s'est agi de mobiliser des témoins ainsi que le cadastre ancien : cela a permis la localisation de 87 lieux de production liés à 77 négoces. Ces sites incluent du bâti parfois lourdement rénové. 31 bâtiments aujourd'hui détruits ont également été localisés. Au sein de ce corpus de recensés 51 sites ont été repérés, qui incluent 21 sélectionnés : le tout concernant 48 négoces. Cette distinction entre "bâtiments" et "négoces" a son importance. Les négoces sont liés à des personnalités les ayant fondés et à ceux ayant poursuivi l'activité jusqu'à extinction de l'entreprise : il s'agit donc d'une entité commerciale, que l'on reliera volontiers au nom de son fondateur – et de ses continuateurs, l'activité demeurant fréquemment au sein de la même famille. Deux bâtiments ou plus peuvent être liés à un même négoce : on pourra par exemple trouver deux chais ayant successivement été utilisés par la même entreprise ; ou encore des bâtiments aux fonctions diverses (vinification, apparat, stockage) mais appartenant au même négoce. Conformément à la méthode de l'Inventaire général ce seront les bâtiments qui constitueront évidemment l'unité de base de ce dossier collectif. Pour autant, il paraît important de garder à l'esprit que la véritable unité, au sens économique, social et historique, est celle du négoce incarné par le nom de son fondateur.

Critères de repérage

L'ensemble des chais ayant été utilisés par des négociants du XVIIIe au XXe siècle ont été pris en considération.

Le manque de précision ou l'incertitude d'une localisation ont été le premier facteur excluant du repérage. L'usage du cadastre ne donne parfois qu'une localisation très approximative des bâtiments intéressant l'étude, particulièrement pour les parcelles les plus étendues. Le doute quant à l'usage réel du bâtiment est aussi un facteur d'exclusion du corpus des repérés : cela pose la question de la terminologie employée au sein des matrices cadastrales, qui est abordée plus loin. Un bâtiment dont la dénomination au sein des matrices laissait un doute (type "bâtiment rural") mais dont la fonction est confirmée par un témoignage oral a cependant pu être "repêché" pour intégrer le groupe des repérés. De la même façon, un bâtiment à la localisation approximative mais dont la position précise est connue par des témoins a aussi pu intégrer les repérés. Aucun critère excluant ne s'est appliqué concernant la qualité architecturale ou son harmonie avec le bâti local : cependant des transformations trop importantes d'un bâtiment, l'impossibilité de lire ses fonctions de stockage ou de production, l'absence de localisation ou de visibilité depuis la voie publique ont été des motifs d'exclusion.

Ces bâtiments recensés, mais non repérés, ont néanmoins intégrés la base de données d'un SIG en même temps que les informations disponibles les concernant (noms des négociants, dates approximatives d'activité et de construction des bâtiments).

Définitions et limites de la recherche

De nombreux intérieurs n'ont pas été visités. Ceux qui l'ont été n'informent pas toujours sur le type d'activité qui y était pratiquée. Les matrices cadastrales sont de peu de secours : peu précises, les dénominations qui y sont utilisées souffrent d'une grande variabilité. Étant donné leur importance dans la définition de ce qui relève ou non d'un chai de négoce, il convient de s'y attarder, à travers trois termes fréquemment relevés :

-          magasin : avant tout un lieu de stockage, le "magasin" est le terme le plus significatif lorsqu'il apparaît dans les possessions d'un marchand de vin. Il se retrouve en fait dans les propriétés de tout individu ayant une activité commerciale. Les bâtiments qualifiés de "magasin" qui étaient portés au compte d'un marchand de vin ont systématiquement été recensés.

-          cellier : le terme de "cellier" est fréquemment rencontré dans les matrices. Un "cellier" peut être donné en possession de toute personne propriétaire de vignes : il peut abriter un pressoir et concerne a priori plutôt l'activité d'un viticulteur. Des celliers ont été recensés lorsqu'il s'agissait du seul bâtiment de stockage donnés à un marchand de vin. Ils ont été ignorés lorsque leur propriétaire possédait des magasins par ailleurs.

-          chai : le terme de "chai" semble être le plus moderne, dans le cadastre. Il apparaît dans les années 1940[1]. Il peut alors cohabiter avec magasin, voire lui être substitué lors du passage d'une case des matrices à une autre ou à l'occasion d'une révision du bâti[2].

Malgré la diversité des termes employés, il arrive fréquemment qu'aucun mot spécifique ne soit employé pour désigner un bâtiment dont l'usage en tant que chai est pourtant connu par la mémoire locale. Ces bâtiments, désignés comme "maison" ou comme "bâtiment rural" ont été recensés ou repérés dès lors que leur fonction était confirmée par des témoignages. En revanche, ces bâtis aux dénominations peu précises n'ont pas été recensés lorsque leur propriétaire n'était pas spécifiquement qualifié de "marchand de vin" dans les matrices et qu'aucun témoignage ne corroborait leur usage comme chai.

Enfin, ce repérage ne doit pas être perçu comme représentatif de l'évolution du nombre de marchands de vin ou des quantités de vins négociés en vignoble nantais. À ce titre on se tournera plus volontiers vers les fichiers de recensement et généalogiques établis par l'association Forum.

II - Chronologie d'usages des chais

Le chai de négoce voit son usage se transformer tout au long du XXe siècle. Avant de s'intéresser aux mutations concrètes touchant la morphologie de ces bâtiments, il est nécessaire de détailler les grandes étapes de ces évolutions.

1. Jusqu'en 1945

Les usages des chais de négociants sont profondément liés à l'évolution économique du vignoble et des techniques de vinification. Jusqu'au début du XXe siècle le chai de négoce est avant tout un lieu de transit, de stockage de fûts destinés au transport par voie fluviale ou routière. On y rassemble la production d'un vignoble atomisé, composé d'une multitude de petits propriétaires. Le chai est aussi le lieu où l'on procède à l'entretien de la futaille, voire à sa fabrication. Un nombre important de négociants ont exercé le métier de tonnelier à un moment de leur vie. Les marchands de vin les mieux établis entretiennent des tonneliers dans leur personnel[3]. Ce type d'usage du chai, à vocation de stockage, de logistique, perdure tout au long du XXe siècle[4]. Sa forme évolue cependant.

D'une part le développement massif du transport routier, l'abandon du transport des vins via la Sèvre nantaise et l'usage resté modeste du fret ferroviaire, ont amené les négoces à adapter leurs lieux de production[5] ; d'autre part le progrès des techniques de vinification a mené à des investissements dans un outillage coûteux et encombrant (filtres et pompes, plus tard groupes de froid). Ceci a imposé aux négoces de ne plus être de simples lieux de transit des vins. En vignoble nantais, les négociants sont les premiers à se saisir de ces innovations techniques : l'absence de mouvement coopératif ne permet pas aux viticulteurs de procéder à ces lourds investissements. Le négoce ne cesse de gagner en intensité capitalistique tout au long du siècle, pour répondre à un défi double : augmentation en qualité et en quantité des volumes traités, le tout dans un contexte de concurrence croissante entre négociants, puis avec les viticulteurs eux-mêmes.

Ainsi les processus se multiplient, au service d'un objectif : l'obtention de vins de qualité constante, élaborés à partir de productions très inégales – en partie importées d'Algérie et du sud de la France. L'apparition de cuves aériennes et souterraines dans les décennies 1920/1930 autorise à la fois une gestion plus rationnelle de l'espace (comparativement à un usage exclusif du fût), une meilleur conservation des vins, mais facilite aussi les pratiques d'assemblage et de coupage – grâce à des cuves nettement plus imposantes. Les surfaces occupées par les chais de négoce vont alors en s'accroissant. Ce processus s'accompagne de deux phénomènes : le premier est celui de la délocalisation. Les chais de centre-bourg sont abandonnés au profit de nouveaux bâtiments périphériques au bourg, ou installés dans les villages alentours. À ce titre, le bourg de Vallet constitue le meilleur exemple : le cas du négoce Drouet, dont les chais sont peu à peu délocalisés en dehors du bourg, est représentatif. Le second est celui d'une diversification accrue des usages du chai.

2. Après 1945

Après-guerre l'usage du chai se diversifie encore. L'embouteillage, en particulier, se répand – sans jamais devenir une norme. Les négoces qui font le choix de la mise en bouteilles doivent cependant revoir l'organisation de l'espace ou bien investir dans de nouveaux bâtiments. Cette réorganisation est d'autant plus nécessaire que les quantités de vin travaillées par les négociants sont de plus en plus importantes, comme en témoignent la multiplication des cuves aériennes et enterrées[6]. À cette tendance s'ajoute un environnement réglementaire se complexifiant et le développement de l'export qui poussent les négociants à se doter a minima d'un secrétariat, voire de laboratoires d'analyse. Le nombre d'employés au sein de chaque chai augmente : au négoce d'Émile Cormerais (Beauregard, Mouzillon), plutôt modeste, on comptait un maître de chais encadrant 2 à 3 employés de chais ; autant d'employés de secrétariat ; 4 à 5 chauffeurs ainsi qu'un mécanicien. Le recours à des saisonniers est fréquent, notamment durant les périodes d'embouteillage. Sans même compter ces saisonniers, les négoces les plus imposants peuvent alors compter plus d'une centaine d'employés permanents : peu à peu ils deviennent de véritables microcosmes, rassemblant une multitude de corps de métier au service de l'enlèvement, de l'élevage, du contrôle et de la distribution des vins[7].

Le dernier quart du XXe siècle voit une sélection s'opérer : de nombreux négoces disparaissent, dans un contexte économique qui leur est de plus en plus défavorable. Les nombreuses gelées des années 1990, la baisse de la demande puis la forte fluctuation des prix entraînent la perte de marchés importants, notamment à l'export. Seuls les négoces les plus imposants, les plus spécialisés ou les plus qualitatifs résistent. La part prise par l'activité de vinification augmente, de même que l'importance des vignes détenues en propre par les négoces ; les plus grands d'entre eux peuvent adapter une dernière fois leur outil de production, en se dotant de vendangeoirs. On peut citer le vendangeoir bâti au début des années 2000 par le négoce Subileau au Landreau (non étudié).  Il s'agit de pouvoir vinifier des raisins frais ou des moûts, ce qui nécessite de la cuverie et des compétences supplémentaires – et n'est pas sans créer des crispations supplémentaires dans une filière en proie à de fortes turbulences.

Une part de ces négoces est encore en activité. La plupart des chais les plus modestes, sont aujourd'hui reconvertis, menacés de destruction ou détruits. Seuls 5 sites, sur les 51 repérés, abritent encore une activité de négoce. Parmi les 46 sites restants, 5 abritent une activité liée à l'économie viticole, 8 sont abandonnés (dont 4 promis à une destruction imminente). 32 sites ont été reconvertis en habitation, en lieu de stockage ou en commerce tiers.

III - Morphologie des chais

Il faut distinguer deux périodes principales dans l'histoire du négoce en vignoble nantais auxquelles correspondent des types distincts de lieux d'activité.

1. Première période : entre bâti d'opportunité et celliers ordinaires

La première période commence au XVIIIe siècle et s'achève dans les années 1920. Le magasin à vin est alors un bâtiment aux usages multiples, qu'il est parfois difficile de distinguer de n'importe quel autre bâtiment rural – c'est le cas de 20 % du corpus ; et qui est en tout cas indiscernable d'un cellier utilisé par un vigneron pour stocker sa production – c'est le cas de 18 % du corpus[8]. Les constructions appartenant à ces deux premières typologies ont donc en commun de difficilement pouvoir être qualifiées de "bâti de négoce". Une partie de ces lieux de stockages sont en fait des communs liés à un manoir ou à une demeure bourgeoise : ils ne gardent pas de trace particulière de cet usage, que seules des sources archivistiques confirment. C'est par exemple le cas des communs de la Pilotière (La Chapelle-Heulin, non étudié), où le marchand de vin Pierre Arnaud a exercé son activité : aucun espace de stockage n'est clairement identifiable parmi les communs du manoir. Dans ce cas-ci l'ancienneté de l'activité (à la fin du XVIIIe siècle) empêche de préciser l'usage du bâti par l'intermédiaire des matrices cadastrales, nous réduisant à des conjectures.

La fonction de chais est cependant notable de façon ponctuelle, par l'usage d'une organisation spécifiques, notamment par l'adoption du modèle de la maison vigneronne – comme pour le chai Piou au lieu-dit la Cognardière, au Pallet. Ce bâti, peu transformé et précisément daté, est un témoignage rare du commerce de vins dans la première moitié du XIXe siècle. Un autre cas intéressant est celui du commerce de Pierre et Julien Boutin (actif à partir de 1823, non étudié), au Gué-Joubert : les sources le donnent marchand de vin, tandis que la proximité de la Sèvre suggère une utilisation de la rivière à des fins de transport. Seules des maisons lui sont attribuées dans les matrices : la plus imposante adopte un modèle de maison vigneronne, dont le rez-de-chaussée a pu stocker des vins[9]. Le stockage du vin en rez-de-chaussée ou en sous-sol, parfois semi-enterré, est la norme. La quasi-totalité du corpus est de plain-pied, gage de facilité pour la manutention des vins.

Un motif caractéristique du magasin à vin est alors celle des jours verticaux ("en archère"), fréquemment trouvés sur des bâtiments de plain-pied, construits en longueur – des celliers, typiquement. Les occurrences les plus anciennes, au sein du corpus, se trouvent sur les chais de la famille Piou et de René Fontaine, marchand de vin actif dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : ce cas est précoce (IA44008975). Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour trouver des bâtiments de négoce clairement identifiables à des celliers, avec par exemple le magasin de Dominique Guilbaud, au lieu-dit la Pierre Blanche. Ce magasin est l'un des plus anciens à présenter cette forme caractéristique de jour en archère, géminé à fronton triangulaire. On retrouve ce motif dans de nombreux chais sur la commune de Vallet, dont certains ayant abrité des négoces[10]. Enfin sont notables les portes à vendange et portes charretières : il s'agit dans le premier cas d'ouvertures percées légèrement en hauteur, utiles pour décharger la vendange fraîche à proximité immédiate des pressoirs. On en retrouve dans certains chais ayant abrité une activité de négoce, comme le bâtiment Piou de Montifault ou bien les celliers de la Cour des Mortiers, à Monnières (non étudié). Les portes charretières ne sont là encore pas spécifiques aux architectures de négoces. Il peut s'agir de simples ou doubles vantaux encadrés de brique (11 % du corpus), comme au magasin de René Fontaine. Elles sont sinon simplement fermées d'un vantail coulissant, monté sur rail : il s'agit d'adaptations tardives que l'on retrouve dans de multiples bâtiments (39 % du corpus), comme chez Gaston Boutin, au lieu-dit la Hautière à Saint-Fiacre-sur-Maine (non étudié) ; chez Louis Bruneau, à la Ville-au-Blanc, ou chez Nicolon, dans le bourg, tous deux à Vertou. Ce type de disposition, pour le passage de charrettes transportant des fûts ou de la vendange, ne donne jamais sur des quais durant cette période – ce qui devient la norme par la suite.

À compter des années 1900, les négociants ne se contentent plus de s'installer dans des bâtiments à usage polyvalent, ou dans des celliers originellement dédiés à la viticulture. De nouvelles générations de marchands de vin voient le jour ; et tandis que "marchand de vin" devient une carrière en soi, des investissements spécifiques sont réalisés. Il s'agit soit de reconvertir des bâtiments pour leur donner un usage plus adapté aux exigences du négoce des vins ; soit de construire de tous nouveaux lieux de travail. Avant même les années 1930, de nombreux bâtiments sortent de terre : le commerce Métaireaux (Aigrefeuille-sur-Maine) fondé vers 1906, voit la création d'un magasin en 1911 ; le commerce Drouet (Vallet), fondé au tournant du XXe siècle (1901 au plus tard) se dote de son premier magasin en 1904 (IA44008972) ; le magasin du négoce de Joseph Gaboriau à Vertou (aujourd'hui lourdement rénové, non repéré), est bâti avant 1901. Cette période voit ainsi l'apparition de nombreux lieux de stockage spécifiquement bâtis comme "magasins à vins"[11]. Cependant leur physionomie n'adopte encore que peu de traits spécifiques. Ceci en l'absence d'évolution notable dans la manière de commercialiser le vin : absence d'embouteillage, de transport motorisé, de cuves maçonnées… Le fût, transporté par charrette ou train, demeure au cœur de l'activité de marchand de vin.

2. Seconde période : vers un bâti spécialisé

Jusqu'aux années 1920 les chais de négociants attendent donc encore une véritable spécialisation : c'est chose faite avec l'évolution la plus notable, qui concerne le stockage des vins. Une étude complémentaire devrait être menée pour borner précisément la construction des premières cuves souterraines et de celles dites, par opposition, "cuves aériennes". Concernant le corpus étudié ici, retenons que les premiers exemples de ces cuves semblent voir le jour aux alentours de 1930[12]. Dès lors, tous les magasins qui sont construits semblent équipés de cuves aériennes et/ou enterrées. Cette information est connue pour 22 des 31 repérés concernés par cette troisième typologie. Au sein de ces 22 repérés, un seul bâti comporte des cuves aériennes, mais aucune cuve enterrée[13]. Les 21 autres bâtiments sont dotés des deux types de cuverie.

Celles-ci sont construites de concert avec les bâtiments les abritant, ou bien sont greffées à des chais existants. De la même façon, les quais, qui permettent un (dé)chargement rapide des vins ou des fournitures, deviennent le symbole du règne nouveau, en logistique, des camions. La quasi-totalité du corpus postérieur à 1930 en est doté. Le négoce bâti par les frères Guilbaud à Mouzillon est représentatif de cette tendance à la construction de bâtiments sur mesure : au premier chai, construit en 1927 et ayant essentiellement abrité de la futaille, vient s'accoler un nouveau bâtiment bien plus imposant construit à la fin des années 1930. On y trouve les deux éléments qui, appliqués de concert, peuvent être considérés comme représentatifs des négoces qui sont dorénavant construits : séries de cuves aériennes et enterrées, accès direct à un quai de chargement. Il s'agit par ailleurs d'un des derniers bâtiments de négoce présentant des éléments de décor typiques de l'architecture locale du début du XXe siècle. Cette "tentation" du chai viticole, caractérisé ici par l'usage d'encadrements de brique, fait long feu. À de rares exceptions près, les chais de négoce sont après cela des constructions fonctionnelles, dénuées de toute ornementation. L'usage de matériaux locaux est abandonné. Les ouvertures sont des baies sans fioritures. Les ventaux en tôle montés sur rail ou encadrés de béton, deviennent la norme. Le négoce Pénot se distingue tout de même, par une mise en œuvre plus soignée, grâce à un usage simple mais esthétique de la brique. Il s'agit là d'une exception. Au cours de ses mues successives, le négoce en vient à adopter la forme des architectures industrielles et commerciales qui fleurissent dans la seconde moitié du XXe siècle. La rupture avec les formes du chai de vigneron, avec laquelle il avait pu se confondre au début du siècle, est consommée.

3. Extension et diversification des bâtis

À la veille de la Seconde Guerre mondiale les sites de négoce commencent alors leur inflation. Les sites existants, lorsqu'ils s'y prêtent, font l'objet d'agrandissements successifs. Les exemples sont nombreux : la difficulté, dans le cadre de cette étude, étant alors de reconstituer la chronologie de ces extensions. Elle est facilitée à la fois par la sollicitation de témoins, ainsi que par la constatation d'une diversité de mise en œuvre au sein d'un même chai. Citons à ce titre le cas du négoce fondé par Jules Olivier, à Haute-Goulaine, dont la construction s'échelonne de 1952 à 1991 : le béton, mis en œuvre (murs et charpentes) pour la majeure partie du bâti, cède le pas à de la tôle reposant sur des poutres cintrées d'une portée supérieure à 20 mètres. Pour le négoce fondé par Donatien Bahuaud, à la Chapelle-Heulin, c'est une diversité de charpentes béton et métalliques qui attestent d'une construction en étapes successives (1942 à 2011), en réponse à des besoins croissants et nouveaux. Il s'agit à chaque fois d'augmenter les capacités de stockage. Le négoce Bonnet, au lieu-dit La Bronnière, à Vallet (non étudié), développe ses chais entre les années 1930 et la fin des années 1980 : les espaces de stockage de vin s'agrandissent, une zone d'embouteillage s'ajoute, puis un lieu de stockage des matières sèches[14] avec de nouveaux quais. Souvent ce sont de nouveaux bâtiments qui sortent de terre : au négoce Loiret, au lieu-dit Brétigné (Le Pallet) le premier bâtiment, de 1939 se voit adjoindre un second chai en 1964, qui triple les capacités de stockage de l'entreprise.

Aux côtés des cuves, particulièrement utilisées pour le stockage du vin en vrac, se multiplient des zones pour loger les bouteilles. Ces bouteilles sont remplies au choix chez le négociant, mais aussi chez les viticulteurs, grâce à des chaines d'embouteillages mobiles[15]. Il s'agit dans ce cas de s'adapter aux exigences réglementaires[16]. À ce nouveau défi d'entreposage les négociants répondent par la création de logements sur mesure, fréquemment créés en sous-sol ou semi-enterrés. On en trouve un bel exemple au négoce fondé par Gilbert Chon, et poursuivi aujourd'hui par ses fils à Saint-Julien-de-Concelles. Des couloirs desservent une série de compartiments, chacun pouvant abriter 13000 bouteilles environ, que l'on empilait sur des lattes. Des aménagements ultérieurs (aujourd'hui disparus) ont consisté à ajouter un tapis roulant permettant de remonter des caisses de bouteilles du sous-sol. Les traces laissées par les fonds de bouteille contre les murs témoignent de cet usage, qui n'a plus cours. Des dispositions similaires (le tapis roulant en moins) se retrouvent au commerce Bonnet, à la Bronnières, ainsi que dans les caves du château du Cléray, tous deux à Vallet.

Enfin, on peut trouver des dispositions plus originales, rares ou uniques. Ainsi les magasins Drouet, dans le bourg de Vallet, étaient-ils reliés l'un à l'autre par un tunnel permettant la circulation du vin. Dans le même objectif, l'ancien magasin des Loiret était relié au nouveau par un pipeline. Il arrive également que les cuves soient construites avec des systèmes de débordement permettant un remplissage de toute la cuverie depuis un unique point d'entrée – c'est le cas au négoce Giraud, de la Haye-Fouassière. Certains négoces possèdent leur propre puit, puisque la connexion au réseau d'eau n'était pas forcément assurée : c'est le cas du négoce Bahuaud à la Chapelle-Heulin, ainsi qu'au négoce Guéry (non étudié), dans la même commune.

[1] L'un des exemples les plus précoces (1943) peut être trouvé chez le marchand Henri Piou de Vallet. Voir AD 44 3P217/23 case 793.

[2] Par exemple chez Guérin-Paris, dont l'un des stockages, à Vallet, est nommé "magasin" jusqu'en 1943, puis devient "3 chais" après cette date. Voir AD 44 3P217/22 cases 523 et 529.

[3] Les frères Baud à la Haye-Fouassière, comptaient ainsi Donatien Bahuaud, futur négociant, dans les rangs des tonneliers qu'ils employaient.

[4] On parle alors de "négociant-distributeur", en opposition au "négociant-éleveur" qui peut également vinifier et travailler des moûts.

[5] Le souvenir du commerce des vins sur la Sèvre Nantaise s'est effacé et aucun témoin n'a mémoire d'un négociant ayant fait circuler des vins sur cette rivière : l'unique exception étant le commerce Baud, au Port à la Haie-Fouassière – des vins d'Algérie en provenance du port de Nantes y étaient réceptionnés (voir le témoignage du négociant Yves Bonnet). Pour le train, un dépouillement des sources concernant le fret ferroviaire au départ des gares du vignoble nantais permettrait de lever le doute quant à l'intensité de cet usage.

[6] Voir le dossier IA44008992 dédié aux cuves des négoces en vignoble nantais.

[7] Ainsi Lucien Rapp, directeur de site chez Donatien Bahuaud, se souvient-il de cette entreprise comme "la pure image d'un négoce de tradition" dans lequel "tous les corps de métiers étaient représentés".

[8] Ceci indépendamment de la dénomination utilisée dans les matrices : un bâtiment construit comme "magasin" peut avoir des caractéristiques tout à fait similaires à un cellier. Seule la morphologie du bâti a été utilisée pour créer ces typologies.

[9] La maison Boutin au Gué-Joubert est représentative d'un certain nombre de bâtiments n'ayant pas été sélectionnés malgré leur intérêt géographique (ici proximité de la rivière) et historique (ici une famille de marchands de vin ayant exercé durant la seconde moitié du XVIIIe siècle). Les transformations dont le bâtiment a fait l'objet, sa lecture difficile, l'impossibilité de visiter ses intérieurs, ont conduit à l'écarter.

[10] Citons par exemple les anciens chais Drouet, rue Émile-Gabory et les bâtiments Chéneau au lieu-dit la Chevalerie (non étudiés).

[11] Le recensement a ainsi permis de découvrir plusieurs bâtiments, aujourd'hui très transformés, qui avaient été construits en tant que magasins à vins : cela à partir de la décennie 1880.

[12] Si les bâtiments sont généralement datables, ce n'est pas le cas de leurs aménagements, ce qui rend difficile de connaître les cuves de négoces les plus anciennes. Pour plus d'informations concernant les cuves, consulter le dossier thématique.

[13] Il s'agit du négoce de Gabriel Thébaud, à Saint-Fiacre-sur-Maine, qui est également l'un des rares sites à ne pas être doté de quai.

[14] Sous le terme de "matières sèches" on désigne l'ensemble des fournitures nécessaires à la mise en bouteille : bouchons, étiquettes, capsules, cartons et bouteilles.

[16] Ces chaînes d'embouteillages peuvent appartenir en propre au négociant, qui peut également sous-traiter l'opération : l'entreprise Boutin de Clisson, en particulier, était très sollicitée.

[17] La mention "sur lie" exige que le vin soit mis en bouteille dès sa sortie de cuve, sans stockage intermédiaire, même dans un camion-citerne.

Documents multimédia

  • Témoignage de Yves Bonnet, recueilli le 16 décembre 2022. (Musée du Vignoble Nantais du Pallet).

  • Témoignage de Michel Bahuaud, négociant, fils de Donatien Bahuaud, négociant, recueilli le 23 mai 2022. (Musée du Vignoble Nantais du Pallet).

Date(s) d'enquête : 2021; Date(s) de rédaction : 2023
(c) Région Pays de la Loire - Inventaire général
(c) Syndicat Mixte du SCoT et du Pays du Vignoble Nantais
Plotard Rémi
Plotard Rémi

Chargé de mission Inventaire - Syndicat mixte du SCoT et du Pays du Vignoble Nantais

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