Dossier thématique IA49011117 | Réalisé par
Durandière Ronan (Contributeur)
Durandière Ronan

Chercheur auprès du Conseil départemental de Maine-et-Loire.

Cliquez pour effectuer une recherche sur cette personne.
  • enquête thématique départementale, Confluence Maine-Loire
Les réseaux et les voies de circulation sur le secteur de la confluence Maine-Loire
Auteur
Copyright
  • (c) Région Pays de la Loire - Inventaire général
  • (c) Conseil départemental de Maine-et-Loire - Conservation départementale du patrimoine

Dossier non géolocalisé

  • Aires d'études
    Confluence Maine-Loire

1. Un réseau routier insuffisant au début du XIXe siècle

Dans la première moitié du XIXe siècle, la Loire reste l'axe majeur de communication en Anjou, à la montée et à la descente, pour les hommes comme pour les marchandises. Le réseau routier, très médiocre, est progressivement amélioré à partir des années 1830. Suite à l'agitation légitimiste et au soulèvement de la duchesse de Berry, le gouvernement adopte le 27 juin 1833 "un système de routes stratégiques distinctes des routes royales, départementales et communales" pour cinq départements de l'ouest, dont le Maine-et-Loire. En 1836, le Conseil général engage en parallèle une politique volontariste de construction de routes en souscrivant un emprunt.

Si des tentatives d'amélioration du réseau routier ont bien lieu, les communes de la confluence restent très à l'écart des routes nationales et départementales. L'ancienne route royale de Nantes à Paris, par Angers, passe plus au nord, par Saint-Georges-sur-Loire, Saint-Martin-du-Fouilloux et Saint-Jean-de-Linières, et c'est en longeant la Loire, puis la Maine, que l'on rejoint Angers depuis les bourgs de Savennières, Épiré, la Pointe, Bouchemaine ou Pruniers, par un réseau de chemins vicinaux mal entretenus et fréquemment sujets aux inondations. Le relief et les affleurements rocheux sont par ailleurs très contraignants. Pour les communes de la rive gauche, le franchissement du fleuve se fait à pied par le pont séculaire des Ponts-de-Cé, reconstruit en 1847-1848. Mais jusqu'à la construction des ponts des Lombardières, en 1889, et de Bouchemaine, en 1910, c'est par un réseau de bacs ponctuant régulièrement le fleuve que l'on gagne la rive opposée, par l'intermédiaire d'un passeur dont la charge est affermée.

2. Le succès du bateau à vapeur

L'apparition des bateaux à vapeur sur la Loire, à partir des années 1820, et la mise en place de liaisons régulières entre Nantes et Angers ont constitué une avancée décisive pour la découverte du territoire et le renouvellement de son appréciation.

Construit par Louis Guibert, un charpentier de marine nantais, et armé par deux Américains, Strobel et Fenwick, le premier steamer de Loire (baptisé La Loire) est lancé le 6 juin 1822 depuis le port de Nantes. Il effectue son premier voyage le 23 juin entre Nantes et Paimbœuf ; dès le 10 novembre, jour de la grande foire annuelle de la Saint-Martin, il rejoint en amont la ville d'Angers. D'un tirant d'eau en charge de seulement 90 centimètres, et pourvu d'un système de roues à aubes, le premier bateau de Guibert mesure 25 mètres de long pour 4,50 mètres de large et peut transporter jusqu'à deux cent cinquante passagers. Le voyage entre les deux villes ligériennes prend une dizaine d'heures mais un service de restauration à bord est prévu. Dès l'année suivante, La Loire est concurrencée par Le Nantais, un bateau de la Compagnie Française de Trenchevent issu des chantiers nantais Hubert et Baudet. À la fin de l'année 1824, deux nouveaux bateaux entrent en service sur la liaison Nantes-Angers : La Maine chez Strobel et Fenwick et L'Angevin chez Trenchevent.

Le succès du transport par steamer est immédiat : plus rapide que la batellerie traditionnelle de Loire, le vapeur est également plus confortable que la diligence ou la berline. Règlement concernant la police des bateaux à vapeur naviguant sur la Loire. 1824. (Archives départementales de Maine-et-Loire, 121 S 3).Règlement concernant la police des bateaux à vapeur naviguant sur la Loire. 1824. (Archives départementales de Maine-et-Loire, 121 S 3). Dès 1830, on compte ainsi sur la Loire et certains de ses affluents une quinzaine de bateaux répartis entre diverses compagnies. Parmi les principales figurent celle des Riverains du Haut de la Loire, issue du rachat de la compagnie américaine de Strobel et Fenwick puis, à partir de 1837, celle des Inexplosibles de Vincent Gâche. Pourvus d’un nouveau système à vapeur à basse pression, réputé plus sûr, et d’un tirant d’eau plus faible, les Inexplosibles permettent de remonter la Loire au-delà d’Orléans. Lettre à en-tête de la compagnie des Inexplosibles de la Loire. 8 juillet 1849.Lettre à en-tête de la compagnie des Inexplosibles de la Loire. 8 juillet 1849.Selon les services préfectoraux, en 1842 près de deux cent mille passagers ont emprunté le parcours Nantes-Angers.

L'utilisation de ce moyen de transport moderne par les artistes, les écrivains et les hommes politiques a fortement contribué à son succès. L'un des voyageurs les plus célèbres est sans conteste Joseph Mallord William Turner qui, le 3 octobre 1826 au matin, embarque de Nantes pour rejoindre Angers. On estime à environ quatorze heures la durée de son voyage, au cours duquel il réalise près de cent quatre-vingts croquis répartis sur cinquante pages de son carnet. À sa suite, de nombreuses personnalités, personnages politiques (la duchesse de Berry, Napoléon III) ou écrivains (Stendhal, Victor Hugo, Maxime Du Camp ou Gustave Flaubert) font ce voyage, contribuant à établir la renommée de ce nouveau mode de transport.

Dès les premiers temps, le trajet en bateau fut accompagné d'une littérature de voyage. La lente remontée de Nantes à Angers permettait en effet aux voyageurs de découvrir progressivement le paysage et de jouir, au fil de l'eau, du "panorama" dont les guides se font l'écho. Le premier d'entre eux est publié dès 1822 chez l'éditeur angevin Fourier-Mame. En 1829 paraît chez Mellinet la première édition du Panorama de la Loire. Voyage de Nantes à Angers sur les bateaux à vapeur, un opuscule relié d'une centaine de pages. Le guide, qui reprend explicitement le terme de "panorama", propose un découpage en dix " tableaux". Empreint du discours pittoresque de l'époque, il comporte une carte du parcours et une liste des villes et hameaux traversés lors du trajet. Ses nombreuses rééditions, revues et augmentées, témoignent de son succès.

L'arrivée du chemin de fer vers 1847 sonne le glas du trafic sur les grandes lignes fluviales, malgré une tentative de relance par le comité de la Loire navigable à la fin du siècle. Les "vapeurs" continuent néanmoins d'avoir un certain succès pour les liaisons locales, notamment entre Angers et les communes de Bouchemaine, la Pointe et Béhuard. De nombreuses cartes postales gardent ainsi le souvenir de La Ville d'Angers, dernier représentant des steamers à roues à aubes de la Loire, dont l'activité s'arrête définitivement après la Première Guerre mondiale.

Arrivée du vapeur "La Ville d'Angers" à la Pointe.Arrivée du vapeur "La Ville d'Angers" à la Pointe.

3. L’arrivée du chemin de fer

La mise à l'étude de la construction du chemin de fer en 1839 est l'autre révolution de ce deuxième quart du XIXe siècle. Après une longue hésitation entre un tracé sur la rive nord de la Loire et un autre sur la rive sud, la loi de 1842 adopte un tracé de Paris à Nantes par Orléans, Tours et Angers passant par la rive nord du fleuve. Exploité par la compagnie Paris-Orléans, le chemin de fer atteint Saumur en 1848, Angers en 1849, Ancenis en 1850 et Nantes en 1851. Si, dans un premier temps, il cohabite avec le bateau à vapeur, voire le complète, le train aura tôt fait de le supplanter sur les grands comme sur les petits trajets, notamment après l'ajout d'un réseau départemental à voie étroite (le Petit Anjou), qui permet en 1905 de relier la quasi-totalité des chefs-lieux de canton.

Entreprise considérable sur un terrain de roches dures, la construction de la voie de chemin de fer marque profondément le paysage des communes des rives nord et redéfinit leur relation au fleuve. Depuis la gare d'Angers, le tracé longe d'abord la rive gauche de la Maine à Sainte-Gemmes-sur-Loire puis la franchit en amont du bourg de Bouchemaine par un imposant pont de 155 mètres de long et 8,10 mètres de large, reposant sur cinq cents pilotis ancrés dans le rocher à une dizaine de mètres sous l'étiage [IA49011135].Le pont ferroviaire de Bouchemaine sur la Maine.Le pont ferroviaire de Bouchemaine sur la Maine.Il contourne ensuite le nord du bourg de Bouchemaine et traverse la Pointe avant de rejoindre la Roche-aux-Moines et Savennières. Dès le départ, une gare est prévue à Bouchemaine et une autre au bas du côteau de la Roche-aux-Moines, au lieu-dit Les Forges. La gare de la Pointe-Bouchemaine. Photographie. 1er quart du 20e siècle.La gare de la Pointe-Bouchemaine. Photographie. 1er quart du 20e siècle.

La construction de la voie nécessite l'aménagement de deux profondes tranchées à la Pointe puis à la pierre Bécherelle [IA49011119]. La tranchée de Bouchemaine. Carte postale. 1er quart du 20e siècle.La tranchée de Bouchemaine. Carte postale. 1er quart du 20e siècle.Au sud du coteau de la Roche-aux-Moines, l'ancien château de Guillaume des Roches, dominant la Loire, en partie ruiné durant les guerres de la Ligue, est définitivement amputé. Le bourg de Savennières est quant à lui coupé de son accès direct à la Loire par le comblement de sa boire.

Ces travaux n'ont pas laissé indifférents les écrivains contemporains. Théodore Pavie (1811-1896) s'en émeut dans une nouvelle, "La Fauvette bleue, récit de bords de Loire", parue en 1861 dans la Revue des Deux Mondes : "Combien de collines éventrées, d'horizons masqués, de paysages balafrés, sans parler des jardins gracieux détruits pour toujours… […] Mais tout est mieux dans le meilleur des mondes ; la locomotive siffle et se rit de vos regrets, le train vole sur les rails, et la vapeur triomphe".

L'époque est en effet à la sauvegarde des monuments – la première liste des monuments historiques date de 1840 – et Pavie s'inscrit dans le mouvement d'opinion qui naît alors en France, lancé par des artistes et des gens de lettres, pour préserver les sites et les paysages du machinisme et de l'industrialisation. Malgré les commodités qu'il apporte, le progrès du chemin de fer ne fait pas l'unanimité : le pont enjambant la Maine n'est pas adapté aux piétons et les expropriations et les démolitions, le long du tracé de la voie, entraînent de nombreux conflits. Une baisse de la population, imputable selon Célestin Port au passage du train, est même observée à Bouchemaine, dont le nombre d'habitants passe de 1 387 à 1 159 entre 1851 et 1872. L'enjeu est toutefois resté majeur pour les communes de la rive nord comme de la rive sud, qui virent dans l'arrivée du train un moyen de désenclaver leur territoire. L'amélioration de la desserte des gares par le bac servit aussi d'argument pour la rénovation des cales et des quais.

Plus sûr, plus rapide et plus régulier que le bateau à vapeur, le train contribue à faciliter le séjour ou l'excursion à la journée des citadins. En 1874, Célestin Port évoque les "bateaux et chemin de fer qui amènent [à Bouchemaine] le dimanche et les jours de fête des foules empressées de la ville, ouvriers et petits marchands, négociants bourgeois, chacun venant chercher sur la rive un coin de vigne ou de jardin, une maisonnette, un cottage ou un château". Son arrivée marque aussi une nouvelle phase dans la construction de maisons de villégiature ou de nouveaux quartiers, installés progressivement le long de la voie.

À l'image de ce que l'on observe à Angers, l'environnement immédiat du chemin de fer et de ses activités quotidiennes est considéré comme une forme d'agrément participant au désir d'évasion et à la quête de modernité. Les cartes postales du début du xxe siècle figurent ainsi la villa Belle-Vue, à la Roche-aux-Moines, construite près du passage à niveau des Forges.

La villa Belle-Vue et le bas de la Roche-aux-Moines. 1er quart 20e siècle.La villa Belle-Vue et le bas de la Roche-aux-Moines. 1er quart 20e siècle. En 1898, Adrien Dubos propose pour le château du Petit-Port, à Bouchemaine, "un parc surplombant la Maine, agrémenté du chemin de fer Tours-Nantes et de la route Angers-Bouchemaine". Construite pour Mathilde Cournot, une "Parisienne de distinction", cette maison de villégiature souligne la diversité des plaisirs pittoresques.Le castel du Petit-Port à Bouchemaine.Le castel du Petit-Port à Bouchemaine.

Bibliographie

  • MARAIS, Jean-Luc, BERGÈRE, Marc. Le Maine-et-Loire aux XIXe et XXe siècles. Paris, Picard, 2009, 394 p.

  • DUBOIS-RICHIR, Amélie. La Loire au XIXe siècle : le fleuve et ses riverains, de Saumur à Bouchemaine, thèse en Histoire moderne et contemporaine, Angers, université d’Angers, 2001, 4 volumes, 950 p.

  • DION, Roger. Histoire des levées de la Loire, Paris, 1961, 312 p.

Date(s) d'enquête : 2022; Date(s) de rédaction : 2022
(c) Conseil départemental de Maine-et-Loire - Conservation départementale du patrimoine
Durandière Ronan
Durandière Ronan

Chercheur auprès du Conseil départemental de Maine-et-Loire.

Cliquez pour effectuer une recherche sur cette personne.