Bercé
Les origines de la forêt de Bercé sont incertaines. Elle aurait fait partie de l'immense massif boisé couvrant une partie de la Gaule au nord de la Loire lors de la conquête romaine (Carnuta sylva : forêt des Carnutes). De défrichement en défrichement, elle aurait acquis en partie la forme de fer à cheval qu'elle a fini par présenter. Par ailleurs, les traces d'une importante et ancienne activité d'extraction de fer sont nombreuses dans la forêt, et dans les communes actuelles on relève quelques toponymes comme les la Ferrière (Jupilles) et les Forges (Jupilles, Thoiré, Beaumont-Pied-de-Bœuf).
Le nom de Bercé provient d'un hameau et fief éponyme situé sur la commune de Marigné-Laillé, au nord de l'aire d'étude. Durant les premiers siècles du Moyen Âge, Bercé est forêt seigneuriale. Au Xe siècle, elle fait partie du domaine des comtes d'Anjou. Vers 1163, Henri II, roi d'Angleterre, comte du Maine et d'Anjou, fait édifier à Saint-Mars-d'Outillé (au nord de notre aire d'étude) le prieuré de Grandmont pour les religieux de Saint-Étienne-de-Grammont dans le Limousin, et lui octroie des droits d'usage. En 1331 [à noter les difficultés d'une datation exacte, ainsi cette date est antérieure à la fondation en tant que telle de la collégiale, placée autour de 1339], Jean III, comte de Dreux, sire de Montpensier et de Château-du-Loir, concède à la collégiale Saint-Julien de Pruillé-l'Éguillé des droits d'usage au pacage, paissage, abeillage, bois de chauffage et à bâtir, plus une rente de 37 livres à prendre sur les ventes de la forêt. À partir de 1337, sous Philippe VI de Valois, roi de France et comte du Maine, Bercé devient une première fois forêt royale. Elle est définitivement rattachée au domaine royal en 1585. Sous l'impulsion de Colbert qui entreprend la réformation des forêts françaises en 1669, Bercé est décrite, arpentée et bornée à partir du 21 juin 1667, et pour la première fois, un plan en est dressé. Elle est plantée de hêtres et de chênes, afin de fournir du bois pour la Marine royale. En 1723, on lui adjoint les landes de Longuebranche dites de Grammont et de Haute-Perche, soit 1 200 hectares médiocres plantés d'ajoncs et de bruyères, qui vont être défrichés et boisés de nobles essences, en vain, puis replantés de pins maritimes et sylvestres mieux adaptés au sol sablonneux. En 1780, Louis XVI donne Bercé en apanage à son frère, comte de Provence, le futur Louis XVIII. L'aménagement de 1783 indique, après arpentage, que la superficie de la forêt est de 5 442 hectares. À partir de cette date et au cours du XIXe siècle, Bercé est quadrillée par des routes rectilignes, au croisement desquelles sont établis des ronds (ronds-points), qui recevront des poteaux indicateurs en fonte fabriqués dans l'Orne (mention sur certains ronds : Renaudin Masle Orne). Domaniale en 1791, puis impériale, de nouveau royale et de nouveau domaniale au XIXe siècle, la forêt de Bercé est maintenant une forêt domaniale, gérée par l'Office National des Forêts (ONF). Elle pourrait un jour être gratifiée du label Forêt d'Exception, valorisant un site emblématique pour son histoire et ses patrimoines.
Saint-Pierre-du-Lorouër, Saint-Vincent-du-Lorouër, Jupilles, Pruillé-L'Eguillé, Thoiré-sur-Dinan, Beaumont-Pied-de-Bœuf
Les six communes de l'aire d'étude retenue, en Vallée du Loir, ont toutes une portion de la forêt domaniale sur leur territoire. Même si l'on dispose de diverses études d'érudits locaux, leur histoire en tant que telle resterait à faire, mais les sources archivistiques sont plus que lacunaires avant le XVIIIe siècle. Les traces de l'époque préhistorique se limitent à la présence d'un dolmen et d'un menhir à Beaumont-Pied-de-Bœuf. Une voie antique mal établie aurait traversé notamment l'actuelle Beaumont-Pied-de-Bœuf d'ouest en est : l'hypothèse s'appuie sur quelques toponymes, comme la Guerrerie et la Chaussée. Au XVIIIe siècle, la route royale 158 Tours/Le Mans coupe la forêt sur l'ouest de Beaumont-Pied-de-Bœuf. Au XIXe siècle, les plans d'alignement modifient quelque peu certaines voies de communication.
Outre les six églises paroissiales, quelques établissements religieux ont été installés au Moyen Âge à proximité de la forêt de Bercé : une collégiale (Saint-Julien à Pruillé-l'Éguillé) et six prieurés (prieurés de Saint-Vincent-du-Lorouër et de Thoiré dépendant de Saint-Vincent du Mans, prieuré Saint-Blaise du Houx à Jupilles dépendant de Marmoutier, prieuré à Pruillé-l'Éguillé dépendant de l'abbaye de Tyronneau, prieuré Saint-Marc des Salles à Beaumont-Pied-de-Bœuf dépendant de l'abbaye de Mélinais, prieuré de Grandmont à Saint-Mars d'Outillé (hors aire d'étude).
Dans les paroisses, certains territoires pouvaient relever des châtellenies de Lucé et Pruillé (élevées en 1539 en baronnie de Lucé), ou de la baronnie royale de Château-du-Loir. Sous l'Ancien Régime, les six paroisses faisaient partie de la province du Maine. Elles dépendaient du diocèse du Mans. Elles s'inscrivaient dans l'archidiaconé et le doyenné de Château-du-Loir. Elles relevaient de l'élection de Château-du-Loir, sauf Thoiré qui relevait de celle de La Flèche. Elles appartenaient à la généralité de Tours.
Le bâti le plus ancien se trouve sur une partie des églises, dont les origines romanes sont courantes. On rencontre aussi petites maisons ou maisons-étables remontant probablement à la seconde moitié du XVe siècle, après la Guerre de Cent ans. Le bâti rural, de pierre et de bois, peut ainsi être étudié dans son évolution sur cinq siècles (en théorie, car c'est oublier tous les aléas qu'induit la construction rurale).
Les communes rurales ont probablement connu leur pic démographique au XIXe siècle, souvent dans la première moitié, dépassant le millier d'habitants, et depuis, les populations ont diminué de moitié, si ce n'est plus.
Dans chaque commune, plusieurs moulins le plus souvent à blé, de petit gabarit, ont fonctionné sur les cours d´eau pendant des siècles. Beaucoup ont été reconstruits au XIXe siècle et ont arrêté de fonctionner quelques décennies plus tard. De manière générale, le XIXe siècle a été une grande époque de reconstruction (maisons et/ou bâtiments agricoles) et d'agrandissement des fermes d'une part, de lotissement et de reconstruction dans les bourgs, avec la mise au point des plans d'alignement, les constructions d´écoles et de mairies, d'autre part.
La population a longtemps vécu de l'agriculture (polyculture : méteil, orge, froment ; seigle, avoine ; pomme de terre) et d'un petit élevage (bêtes à cornes, chèvres, porcs), et/ou de l'exploitation de la forêt. Le tissage du chanvre pour la toile de ménage vendue sur le marché de Château-du-Loir constitua une activité à part entière ou complémentaire, qui déclina au début du XXe siècle faute de pouvoir se mécaniser. Les chenevières cultivées le long des rivières ont disparu. En revanche, quelques vignes (et leurs loges de vigne) subsistent, traces d'une activité autrefois plus étendue, mais victime du phylloxera à la fin du XIXe siècle. Dans les fermes, d'anciens pressoirs rappellent que l'on réalisait du cidre de raisins ou de pommes. L'activité liée au bois fut importante pendant des siècles, mobilisant les différentes classes de la société (garde des titres de la forêt, garde marteau, maître particulier de la maîtrise des eaux et forêts de Château-du-Loir sous l'Ancien Régime, marchand, bûcheron, scieur de long, fendeur, éhouppeur, tourneur, tonnelier, sabotier, charpentier...). Pesche, dans son Dictionnaire topographique en 6 volumes parus entre 1829 et 1841, détaille les productions issues de la forêt de Bercé : pièces de marine flottées sur le Loir, pour Nantes, des ports de la Pointe et de Coëmont [en Vallée du Loir], autres gros ouvrages en bois tels que merrains, atelles, palis, mais encore nombre infini de petits ouvrages et ustensiles de ménage : cébilles, cuillers à pot et à ragoût, godets, lardoires, chantepleures, fuseaux, pesons, boutons, etc. Ardoin-Dumazet, à la fin du XIXe siècle, mentionne d'énormes plats en bois, pour le beurre, des godets ou récipients à longs manches perforés servant aux ménagères à puiser et à verser de l'eau, des boîtes à vivres dans lesquelles les bûcherons et les travailleurs des champs mettent les rillettes et le beurre qu'ils emportent, et des robinets ou chantepleures, appelés champelures. La commune de Jupilles fut réputée pour la saboterie ; et en particulier pour le décor des sabots, la finesse des sculptures et la variété des modèles, à partir de la fin du Second Empire et jusqu'à 1914. La commune était devenue une véritable capitale du sabot en France. Il reste de cette proto-industrie deux bâtiments emblématiques, mais méconnus faute d'archives, appelés saboteries, à Jupilles. Une fabrique de brosse a fonctionné à Saint-Vincent-du-Lorouër, de la fin du XIXe siècle à 1925. La forêt a également motivé l'implantation de quatre briqueteries, le long de la route forestière de Pruillé-l'Éguillé (3 briqueteries) à Jupilles (1 briqueterie), à partir de 1879. La dernière a arrêté de fonctionner en 1977. Les briques, cuites à four ouvert selon une recette belge, ont été utilisées en chaînages, encadrements de baies, corniches, voire pour des bâtiments agricoles entiers. Au XXe siècle, plusieurs scieries ont fonctionné sur le territoire, parfois associées aux derniers moulins. Leur fermeture, à partir des années 1960, sonnait le glas d'un certain monde rural.
Le tramway (réseau à voie étroite) s'est arrêté pendant quelques décennies dans chacune des communes de l'aire d'étude. Saint-Vincent-du-Lorouër (PK 37,9) et Saint-Pierre-du-Lorouër (PK 41,5) ont été desservies par la ligne Le Mans/La Chartre-sur-le-Loir (51,625 km). Il s'agissait de la première ligne du premier réseau de la Compagnie des Tramways de la Sarthe. Le tronçon Le Mans/Le Grand-Lucé a été ouvert le 25 mai 1882 et le tronçon Le Grand-Lucé/La Chartre le 1er mai 1884. La ligne a été fermée le 1er mars 1947. Pruillé-l'Éguillé (PK 41), Jupilles (PK 45), Beaumont-Pied-de-Bœuf (PK 49), Thoiré-sur-Dinan (PK 52) ont été desservies par la ligne Le Mans/Château-du-Loir (61,5 km). Cette ligne faisait partie du troisième réseau (7 lignes) ; elle se caractérisait par la traversée de la forêt de Bercé (transport du bois) et ses nombreux méandres au niveau des communes de l'aire d'étude. Le premier tronçon, Changé/Marigné, fut mis en service en 1913. Le tronçon Marigné/Jupilles le fut le 26 février 1920, le tronçon Jupilles/Château-du-Loir (16,5 km) le 26 juin 1922. Ce dernier ferma le 31 décembre 1932, Jupilles/Brette le 1er juillet 1935 et Brette/Changé en 1944.