En 1892, Jules Bideau (1848-1925), exportateur de fruits et primeurs installé au 22-24, rue de l'Étenduère à Angers, se porte acquéreur d'une modeste maison construite vers 1840 à Chantourteau. Il procède immédiatement à une importante campagne de travaux dans le but d'en faire une résidence de villégiature. Le projet est confié à Eugène-Théophile Esnault, un jeune architecte angevin, élève de Charles Laisné à Paris, qui propose un parti architectural original, marqué par l'éclectisme, oscillant entre les styles chalet, néo-Renaissance et orientalisant.

Les photographies et les cartes postales du début du XXe siècle témoignent de la complexité de l'élévation et de la richesse du décor. Dans l'angle sud-ouest, l'ancien corps de logis fut notamment flanqué d'une haute tourelle en brique, surmontée d'un toit en poivrière et percée de fenêtres en tuffeau. Côté Loire, la travée centrale de la façade se signalait par la présence de deux bow-windows superposés, couronnés d'un belvédère permettant de jouir du panorama. La véranda ouvrant sur le jardin, ajourée de vitraux, est ornée d'une frise en faïence à cabochons vernissés. Au-dessus, sur le pignon ouest, deux médaillons en céramique représentent des allégories de l'agriculture et des arts. D'après la tradition, Jules Bideau fit aménager pour sa maîtresse, ancienne danseuse de profession, une salle pour qu'elle puisse donner des cours. Les murs intérieurs sont encore ornés d'un étonnant décor peint signé G. Floindron, représentant la confluence, animée de bateliers et de lavandières, et des paysages des environs.

L'excentricité du chalet Bideau témoigne de l'ambition de son commanditaire. Né en Ille-et-Vilaine en 1848, Jules Bideau fonde en 1871, avec un associé, la maison Pignol et Bideau. En 1899, il prend seul la tête de cet établissement qui acquiert une solide réputation en France et à l'étranger. Membre de la chambre de commerce et d'industrie de Maine-et-Loire, il en devient le président en 1908. On ne sait pourquoi Bideau choisit Esnault pour la construction de sa maison de villégiature, véritable vitrine de sa réussite sociale. Lors de l'éloge funèbre de l'architecte, Gustave Tendron rendit hommage au "dessinateur très habile [faisant] preuve dans ses compositions d'un goût très éclairé". "Presque en sortant d'Angers, tous les voyageurs remarquent, sur la ligne de Nantes, une élégante construction en forme de chalet. C'était autrefois une maison lourde et sans style qui dut son heureuse transformation à notre confrère." C'est probablement pour la restauration de cette villa, dont quarante-cinq dessins furent exposés sous châssis, que Esnault fut distingué au Salon des amis des arts d'Angers en 1895.