Une motte castrale entretenue puis disparue
Les documents les plus anciens concernant la seigneurie des Mortiers remontent au XVe siècle, mais l’histoire du site est bien plus ancienne. La présence avérée d’une motte castrale, aujourd’hui totalement aplanie, pourrait indiquer un site seigneurial aménagé autour du XIe siècle. La motte des Mortiers appartenait aux aménagements défensifs en terre implantés à la frontière du Maine et de la Normandie à cette époque, comme à Torcé ou à Couptrain par exemple. Il faut probablement situer son édification à la suite des incursions dans le Maine de Guillaume le Bâtard, futur Guillaume le Conquérant (il fait construire un château à Ambrières vers 1055), période d'incertitude lors de laquelle la frontière oscille au gré des avancées ou retraites des ducs de Normandie et des comtes du Maine.
Si la motte a aujourd’hui totalement disparu, elle demeure parfaitement lisible sur le plan cadastral napoléonien de 1837. Son diamètre semble pouvoir être estimé à une trentaine de mètres : elle est entourée de fossés qui devaient être alimentés en eau directement par la Mayenne qui la borde. Elle commande un passage à gué sur la rivière, et l’ancien chemin a laissé son empreinte dans le paysage. Les aveux du XVIIIe siècle signalent encore "la motte levée de terre entourée de douves", qui semble avoir été encore en parfait état à cette époque, preuve de son entretien au cours des siècles et de son rôle symbolique. On peut s’interroger sur la fonction du bâtiment construit sur cet emplacement, aujourd’hui remanié mais dont la porte en arc brisé pourrait remonter au XVe, si ce n'est au XIVe siècle. Les hypothèses d'un premier logis ou d'un vestige de la chapelle peuvent être avancées, mais non vérifiées.
Le manoir des Mortiers selon les aveux
Le manoir tel qu’on peut aujourd’hui l’observer semble pouvoir être daté du XVe siècle, voire du début du XVIe siècle, mais une étude approfondie du bâti serait nécessaire pour préciser cette datation. Il est plus complexe de dater les dépendances en retour, postérieures au logis mais antérieures à la Révolution. Les documents concernant les Mortiers sont conservés parmi les liasses du chartrier de Torcé, réuni à celui de Lassay. Un aveu de 1499, retranscrit tardivement, fait état de "la grande maison manable, à deux cheminées, une autre maison à cheminée, une grange, une étable, le tout se tenant ensemble, une autre maison servant de chapelle, un four et fournil, une autre étable, un pressoir". Les bâtiments étaient alors couverts de tuiles selon les aveux du XVIe siècle. La chapelle devait disparaitre des aveux dans le courant du XVIIe siècle. L’ensemble comprenait également trois jardins potagers et deux jardins plantés d’arbres, ainsi qu’un bois de haute futaie. Le domaine s’étoffe par la suite : on signale dans l’aveu de 1707 des dépendances plus nombreuses, une fuie (pigeonnier) alors en ruine, "une garenne levée avec les taillis" pour l'élevage des lapins. Un "droit de pesche dans la rivière de Mayenne qui passe au pied et dessous lesdits bastiments" y était également associé. Un dernier aveu rendu en 1752 fait état de la "maison seigneuriale, composée d’une salle, deux chambres, grenier dessus, une étable, un fournil, un touet à porcs, un pressoir, deux jardins, le tout scitué sur la motte levée de terres entourée de douves avec le bois de chateigniers et les vergers". La fuie a alors disparu, à son emplacement ont été élevées une grange et deux étables.
Le manoir est vraisemblablement édifié pour la famille de Logé qui, selon les suppositions de l’abbé Durand, possédait peut-être la seigneurie depuis le XIIIe siècle. Dans la hiérarchie féodale, il relevait de la seigneurie de Torcé, également située sur la paroisse de Cigné. Guillaume de Logé est signalé comme seigneur des Mortiers en 1499. Vers 1570, le fief passe à la famille Achard, puis un siècle plus tard à la famille Le Marchand. Les derniers seigneurs sont les Bottu, qui ne résident pas sur place mais à Lassay. En 1794, Jean-Baptiste Bottu des Mortiers fait brûler ses titres féodaux sur la place de Cigné. Son fils, du même nom, sera maire de Cigné de 1830 à 1852.
Une métairie aux XIXe et XXe siècles
Le manoir des Mortiers n’a pas été retrouvé parmi les ventes de biens nationaux, néanmoins il échappe à la famille Bottu pour devenir propriété, au début du XIXe siècle, de la famille Pollet, résidant aux Yvets et à Louiseval, qui donnera à Cigné la plupart de ses maires. Les bâtiments sont déclassés pour devenir une simple exploitation agricole. D’après les matrices cadastrales, ils passent par mariage, en 1921, à Pierre-Conrad Germain-Lacour, résidant au château de Cuigny à Moulins-sur-Orne. En 1949, sa veuve en est toujours usufruitière, tandis que la nue-propriété a été transférée à Bernard Germain-Lacour, résidant à Mâcon.
Si le logis du manoir est conservé en l’état (et malheureusement menace ruine aujourd’hui), les dépendances sont largement remaniées et augmentées au cours de la 2e moitié du XIXe siècle. L’abbé Durand souligne que l’importante ferme de 41 hectares, qui s’étend sur quatre communes et quatre cantons, est la dernière de Cigné à connaître le métayage. Une partie des bâtiments, situés sur l’emplacement de la motte, sont toujours à l’usage de ferme : ils ont été récemment remaniés. Des bâtiments d’exploitation (stabulations) ont été implantés au nord du site dans la 2e moitié du XXe siècle.