Au XIXe siècle, la fabrication du tabac est un monopole d'Etat, organisé sur toute la France par la Régie Centrale. Conséquence de la guerre de 1870, le Monopole perd les manufactures de Strasbourg et de Metz. C'est pourquoi la Régie décide très vite de créer deux autres centres manufacturiers le plus éloigné possible de toute frontière sensible. Le Mans est sélectionné pour sa position géographique et pour l'existence de cinq lignes de chemin de fer rayonnant autour d'elle. La ville compte également un grand nombre de femmes sans travail. Enfin, les industries connexes comme la papeterie, dont la manufacture pourrait avoir besoin, existent déjà dans le département. C'est pourquoi Le Mans est préféré à Tours ou à Caen.
Le Mans propose alors un terrain de 19 000 m2 (l'ancienne « Prée des Planches ») et s'engage à construire à ses frais les voies d'accès encore non existantes. Ainsi, le 24 novembre 1876, l'Administration centrale des tabacs passe convention avec la ville du Mans. Dans un premier temps, des ateliers provisoires, afin de juger de la pertinence du choix de la ville, sont construits par la municipalité à l'emplacement actuel et quai Amiral-Lalande. Les bâtiments définitifs sont construits de 1878 à 1884.
Le plan de la manufacture reprend les caractéristiques développées d'abord pour Strasbourg puis à Nantes, par Eugène Rolland, directeur du service central des tabacs en 1844. Ce plan unique et rationnel induit que les bâtiments soient organisés selon un quadrilatère alternant corps de bâti et cours ; la source d'énergie se positionne au centre de la cour technique entourée par les ateliers de production. Le bureau de la direction est systématiquement implanté sur rue et constitue la façade principale de la manufacture. Ce « modèle Rolland » est réalisé au Mans par l'ingénieur en chef Büttner qui adapte le modèle vers un type de manufacture dite « verticale ». L'usine est composée de plusieurs étages communiquant via des trappes, poulies et escaliers, permettant ainsi une meilleure production et une multiplication des ateliers. De plus, au Mans, l'emploi de colonnes de fonte soutenant un plancher de bois a été relativement systématique, pour la première fois dans l'histoire de la Régie Centrale.
La manufacture des tabacs employait principalement des femmes : 485 sur un total de 562 ouvriers en 1900. Il n'est donc pas étonnant de savoir qu'on trouvait dans un des bâtiments de l'usine, une crèche et même une école maternelle à partir de 1896.
Afin de relier la manufacture au centre, le pont des tabacs est établi sur la Sarthe en 1887. La manufacture fait l'objet de reconstructions et de modifications au cours du XXe siècle. Certaines reconstructions sont dues à des dommages (incendies en 1917, 1957 et 1960, bombardement en 1944) et d'autres dans un souci de modernisation. Cela entraine l'intégration de matériaux contemporains tel que le béton armé pour les supports et les poutres au sein d'un édifice plus ancien. En 1931, les bâtiments encadrant les bureaux de la Direction ont été surélevés. Entre 1933 et 1935, un hangar de stockage est reconstruit et agrandi. Sa façade donnant sur la Sarthe reprend le vocabulaire architectural des constructions originelles assurant ainsi une continuité visuelle de l'ensemble du bâtiment. L'aile en retour rue Jean-Nicot est construite en 1936-1937. Entre 1968 et 1970 un nouvel espace industriel est construit, destiné à abriter une chaîne de transformation continue à la vapeur sur 4600 m2. La manufacture cesse son activité en 1988.
Aujourd'hui, une entreprise de transport y est implantée ainsi que des espaces de stockage industriel.
Chercheur auprès du Service Patrimoine de la Région des Pays de la Loire.