L´étude des moulins de Guérande montre que cette commune était riche en moulins à vent de types variés et successifs : turquois, petit-pied, moulins-tour. Les archives, très lacunaires, nous donnent cette impression de trois phases successives et bien marquées dans le temps. En réalité les faits techniques sont certainement plus rapprochés chronologiquement et l´apparition d´un nouveau type de moulin n´a pas impliqué la disparition immédiate des précédents, les nouveaux moulins coexistant avec les anciens ; la tradition, grande force d´inertie, et le manque de numéraires, empêchèrent durablement les innovations et les modernisations de toucher l´ensemble du parc technique concerné.
Le Pays Guérandais s´inscrit dans la vaste zone d´implantation du moulin turquois qui s´étend de la Normandie au Bas-Poitou. Avec le moulin à pivot fixe, ou "à chandelier", tout en bois, il s´agit de l´un des deux moulins premiers, apparus probablement au cours de la seconde moitié du 12e siècle. S´il offrait l´avantage de suppléer les moulins à eau en cas de sécheresse, il présentait quelques inconvénients, et principalement celui d´être difficilement réparable en cas de rupture du pivot. Il fallait sans doute rehausser la cage sur des échafaudages prenant appui sur le sommet de la tour pour procéder au démontage des parties rompues du pivot, puis remettre un pivot neuf en le passant à travers la charpente de la cage pour le faire descendre dans le conduit vertical de la tour. Cette opération, longue et complexe, a dû décourager certains meuniers qui ont imaginé de laisser la cage reposer sur le sommet de la tour et de poser la coiffe du moulin sur un chemin de glissement circulaire à la partie haute de ladite cage. Le renvoi d´angle étant centré par rapport au centre géométrique de la cage et de l´axe de giration de la meule, un nouveau moulin était ainsi créé ; sa cage, bientôt circulaire - à moins que des turquois à cage circulaire n´aient existés ? -, débordante par rapport au pied, adopte ainsi une morphologie typique : celle des petits-pieds.
En quel lieu, en quelle province cette mutation eut-elle lieu ? Est-elle locale, ou bien les petits-pieds ont-ils été importés du nord de la Bretagne où des moulins semblables sont mentionnés au cours du dernier tiers du 14e siècle, mais possédant une cage en pans de bois, en "hourdis" qui leur donnait leur nom (moulins à "houdais"). Rien actuellement ne permet de trancher définitivement la question, bien que la structure archaïque de la cage de ces derniers puisse militer en faveur de leur antériorité.
L´étude des élévations intérieures de trois des moulins à petit-pied de Guérande nous conduit à penser qu´originellement, la tourelle des moulins ne servait que de support à la cage,et que l´on accédait à celle-ci par l´une des deux portes hautes en y appuyant une échelle. Les sacs de farine y étaient hissés grâce à un treuil (le travouillet) que l´on disposait sur des corbeaux saillants des montants des portes. Les deux paires de meules devaient être disposées sur un beffroi (la"poquerie") ce qui permettait d´ensacher la mouture juste sous les meules. Vers la fin du 14e siècle, le vieux système de trempure comprenant un seul gros levier diamétral réglable grâce à une vis (ou à un levier), fut, dans la plupart des cas, remplacé par un nouveau système à trois leviers successifs,nécessitant une force motrice moindre et offrant la possibilité d´un réglage de l´écartement des meules plus précis et plus souple. À la même époque, les deux phénomènes étant peut-être liés (?), les meuniers voulurent créer une circulation intérieure, mieux abritée en hiver. Cependant, en raison del´exiguïté des tourelles, on ne pouvait construire un escalier partant du sol qui aurait occupé presque tout l´espace interne et y aurait empêché tout stockage. La solution consista donc à aménager des petits escaliers incommodes dans la partie haute des tourelles pour pouvoir monter dans la cage, ces petits escaliers étant eux-mêmes accessibles par une échelle intérieure.En même temps que se développaient les petits-pieds, dans le courant du 14e siècle les moulins-tours apparurent également, inspirés des premiers : un type particulier, est présent à Guérande (Moulin du Bout de la Rue, Moulin de Beaulieu, Moulin Neuf de Saillé, détruit) qui se caractérise par la présence d´un empattement et de portes hautes à l´étage, munies de corbeaux pouvant recevoir un treuil à monter les sacs par l´extérieur. Ces traits constituent à nos yeux une sous-famille de moulins-tours spécifiquement bretonne, dont la tradition constructive perdure jusqu´au cours de la première moitié du 19esiècle, comme le démontre le moulin de Narbon, à Erdeven (Morbihan), construit en 1805.
En denier lieu, nous noterons que les hauts moulins-tours de Guérande de la seconde moitié du 19e siècle,construits de novo ou venus remplacer une partie des moulins-tours anciens de type "breton" mentionnés ci-dessus et une partie des petits-pieds traditionnels, équipés à la moderne d´autant que souvent leur force motrice était parfois renforcée par la présence d´une machine thermique,font partie d´une large plus famille de ces moulins, couvrant tout l´Ouest de la France, et qui tenta de résister vainement à la meunerie industrielle et hydraulique triomphante.
Photographe.