Dossier collectif IA44003761 | Réalisé par
  • inventaire topographique
Les châteaux et manoirs de Guérande
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  • (c) Région Pays de la Loire - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Dénominations
    château, manoir
  • Aires d'études
    Guérande
  • Adresse
    • Commune : Guérande

Le manoir, instrument de la valorisation du territoire

Une petite noblesse, fer de lance du développement du territoire

Croisé avec les sources écrites, l’inventaire topographique de la commune montre que Guérande présentait une densité relativement forte de manoirs. Bien identifiables par leurs caractéristiques architecturales (présence d’un étage, tour d’escalier, décor), leurs dépendances (mur de clôture, chapelle, pigeonnier, etc.) ou leur implantation dans le parcellaire, ceux-ci se distinguent la plupart du temps facilement des métairies, isolées, ou des tenures paysannes, regroupées en rangées au sein des écarts. La difficulté réside parfois dans l’identification d’un logis noble installé au cœur d’un village, voire dans un faubourg, ou lorsque la maison paysanne possède un vocabulaire architectural directement influencé par celui du manoir. Dans ce cas, l’apport des sources écrites – quand elles existent – est souvent essentiel à sa reconnaissance, de même qu’à la localisation des logis détruits.

À Guérande, cinquante-deux manoirs ont été recensés sur une superficie de 81,44 kilomètres carrés, soit un manoir pour 156 hectares. Si l’on déduit la surface occupée par les marais salants, environ 10 kilomètres carrés, la densité s’élève à un manoir pour 137 hectares. Sur ces cinquante-deux ensembles manoriaux, 42 % des logis ont actuellement disparu. Ils ont, la plupart du temps, laissé place à une reconstruction du XVIIIe ou du XIXe siècle, un château ou une maison de maître, voire une ferme. Quatre d’entre eux ont été entièrement rasés, mais ils sont connus par les sources écrites ou le cadastre ancien. Un manoir, celui de Villejames, a été retrouvé en 2010 lors de fouilles archéologiques entreprises avant l’aménagement d’une galerie marchande.

La cartographie des manoirs repérés montre une implantation relativement concentrée en périphérie de la ville et dans la zone nord-ouest bordant les marais salants. Dans ces zones anciennement peuplées, le manoir a souvent été implanté légèrement à l’écart de l’habitat déjà établi. Leur répartition laisse apparaître de grands espaces vides dans les parties septentrionales de la commune, particulièrement dans un couloir situé de part et d’autre de l’ancienne route de Saint-Lyphard. Cette occupation du sol, qui se cale bien, en réalité, sur l’implantation des écarts, témoigne d’équilibres spatiaux relativement anciens.

Le nombre élevé des manoirs recensés sur la commune est à mettre en relation avec une densité nobiliaire forte. Les travaux récents d’Alain Gallicé ont permis de recenser quarante-huit nobles établis à Guérande lors de la réformation générale des feux de 1426. Ce chiffre, relativement élevé, représente 5,9 % de l’estimation des feux réels de la paroisse, soit une moyenne légèrement supérieure à celle du duché de Bretagne (4,8 %) et très au-dessus de celle du diocèse de Nantes (2 %). Cette forte densité, qui évoque certaines zones du nord de la péninsule Bretonne, fait du « terrouer » un espace singulier au sud-ouest du diocèse de Nantes. Elle pourrait avoir été consécutive à la mise en place de limitanei (vassaux).

En dehors de quelques familles fortunées, issues de la haute et moyenne noblesse, pour la plupart extérieures au pays guérandais, et d’autres, aux revenus très faibles, la noblesse guérandaise se compose à 75 % de petits nobles aisés, dont 45 % des membres dégagent entre 80 et 200 livres de revenus par an. Cet important numéraire, issu majoritairement des bénéfices tirés de l’exploitation de la vigne et du sel, la dote d’une véritable capacité d’investissement dont témoigne encore la construction manoriale.

Si quelques terres et logis nobles ont été acquis par des familles extérieures au pays guérandais, tels les Carné à Crémeur, la plupart des manoirs appartiennent à des familles d’origine locale dont la présence est parfois attestée dans le « terrouer » depuis la fin du XIVe siècle. L’« herbergement » de Léverac est ainsi mentionné en 1383 dans un aveu rendu au duc Jean IV par Alain de Léverac. Jean II du Verger, fils de Jean Ier, capitaine de Guérande en 1355, possède en 1393 le manoir de Cardinal. Kaireven, appartenant à la famille Gorges, et Lessac, possession des Le Bouteiller, sont mentionnés dès 1395. Citons également Colveux, en 1401, ou Bogat, en 1419, dont les manoirs sont associés aux familles du même nom.

Dans l’ascension sociale de plusieurs familles locales, le service du duc a été déterminant. Il est militaire pour les du Verger, qui fournissent deux capitaines à Guérande au moment de la guerre de Succession puis s’impliquent dans l’administration du « terrouer » : Jacques Ier du Verger est alloué du duc en 1462, comme Jacques II, son fils, en 1475 et 1489. Seigneur de Mérionnec, Denis Baye devient capitaine du Croisic au côté de Jean de La Boissière en 1397, après avoir été châtelain de Suscinio en 1393. Son fils, Guillaume, est échanson de la duchesse Jeanne de France de 1410 à 1417, puis son écuyer, comme Jean, en 1426 et 1430. À la fin du XVe siècle, Pierre Baye apparaît comme valet de chambre de la duchesse Anne aux gages de 133 livres par an. Les offices de finances favorisent des réussites encore plus importantes. Jean du Dréseuc, seigneur du Dréseuc, est argentier du duc avant 1385. Le 11 mars 1407, son fils, Guillaume, est nommé alloué de Guérande. Dans les années 1460-1470, la réussite d’Olivier de Dréseuc lui permet de racheter la seigneurie de Lesnérac et de constituer un important domaine sur Guérande, Lavau et Escoublac.

À côté de cette noblesse de robe et d’épée, les religieux possédaient aussi quelques maisons nobles. Si l’attribution par Léon Maître du manoir de Villeneuve, alias Saint-Thomas, aux évêques de Nantes est incertaine, les moines de l’abbaye de Prières détenaient à Lancly, dès avant 1370, un « herbergement » sur leurs terres données par Jean Ier le Roux en 1252. Non loin de là, à Clis, l’abbaye cistercienne de Blanche-Couronne disposait, à la fin du XVe siècle, d’un logis noble.

L’évolution du logis noble guérandais (1381-1532)

Si la mention d’« herbergement » apparaît souvent dans les textes du dernier quart du XIVe siècle et des premières décennies du siècle suivant, rares sont les bâtiments de cette période qui ont été observés sur le terrain. Contrairement à ce que l’on constate pour l’habitat de l’intramuros, aucun logis à structures sur poteaux de bois n’a été reconnu dans la partie rurale de la commune. À Villejames, exemple le plus ancien retrouvé, les fouilles archéologiques menées en 2008 ont révélé la construction ex nihilo, dès la fin du XIVe siècle, d’un premier logis seigneurial de plan rectangulaire, aux fondations de pierre, dont la salle principale était chauffée par une cheminée monumentale engagée dans le mur-gouttereau oriental. Si l’épaisseur des murs laisse supposer que la construction était entièrement en pierre, aucun indice ne permet d’évacuer l’hypothèse qu’une partie des étages était en pan-de-bois.

Le type de logis à salle de plain-pied montant directement sous charpente, dont le modèle, vraisemblablement hérité des hall-houses anglo-saxonnes, tend à disparaître en Bretagne après 1450, n’a pu être observé qu’indirectement. À Cardinal, dont l’« herbergement » est signalé dans les textes dès 1393 ,plusieurs prisages de la fin du XVIIe siècle signalent l’existence d’une grande salle basse, surmontée d’un grenier éclairé de lucarnes, de 45 pieds de long pour 19 pieds de large et 16,5 pieds de haut (soit 14,80 mètres de long, 6,30 mètres de large et 5,40 mètres de haut), et par laquelle « on entre directement depuis la cour ». Ce grand volume, figuré comme ruiné sur le cadastre de 1819, est prolongé au nord par une pièce plus petite, sans doute une cuisine, de 8 mètres de long sur environ 6,50 mètres de large, équipée d’une cheminée engagée dans le mur-pignon nord. Au-dessus de cette dernière, des départs de piédroits de cheminée attestent l’existence antérieure d’une autre pièce chauffée, vraisemblablement une chambre. Les consoles à quadruple ressaut ornées d’un cavet, qui supportent la hotte du rez-de-chaussée, dont le modèle n’est pas sans rappeler celui des tours de la porte Saint-Michel, suggèrent une datation de l’ensemble antérieure au milieu du XVe siècle. Par ailleurs, si l’on admet que l’aménagement du comble est plus tardif – l’insertion de plafonds planchers divisant la salle basse n’apparaît pas dans l’Ouest avant la fin du XVe siècle –, nous pourrions bien être ici en présence d’un logis à salle basse sous charpente. Ce type de partition binaire,constitué d’un grand volume sous charpente apparente et d’une cuisine surmontée d’une chambre, bien connu et étudié dans l’Ouest, constituerait à l’heure actuelle un unicum à Guérande.

À la même époque coexistent des logis présentant un plan plus évolué, avec salle haute à l’étage. Dans ce type, la forme la plus simple observée adopte un plan rectangulaire divisé approximativement aux deux tiers par un mur de refend montant de fond créant deux pièces par étage. Elle associe alors une salle basse et une cuisine ou un cellier au rez-de-chaussée, et une salle haute et des chambres à l’étage. Le logis de Kerpondarm, construit entre 1403 et 1419, peut-être pour Jehan de Pondarm connu dans l’intra-muros à la même époque, est le plus ancien de ce type repéré à Guérande. Le logis adopte un plan rectangulaire avec salle basse de 11,70 mètres de long sur 6,50 mètres de large, et un cellier de 7,50 mètres de longueur et de même largeur, au rez-de-chaussée, et à l’étage une salle haute et une chambre de dimensions analogues. La salle basse, accessible tant au nord qu’au sud par une porte en arc brisé percée sur chaque mur-gouttereau, est chauffée par une vaste cheminée pourvue de consoles à ressauts engagée dans le mur de refend. Elle est éclairée au sud par une croisée et au nord par une croisée et un jour. Outre la cheminée, des éléments de confort équipent la pièce : des coussièges dans l’ébrasement des fenêtres, une niche couverte en plein-cintre à droite de la cheminée et un placard mural sur le mur sud. La communication avec le cellier s’effectue par une porte percée dans le mur de refend. Ce dernier, qui possède aussi une entrée indépendante au nord, est éclairé par un jour sur chaque mur-gouttereau. À l’étage, la salle haute est dotée de croisées, deux au nord et une au sud. On y accédait visiblement depuis la salle basse par un escalier en vis en bois, dont Gwyn Meirion-Jones a restitué l’emplacement dans l’angle sud-ouest. La salle haute montait à l’origine directement sous une charpente à fermes et à pannes à poinçon long. Elle donnait accès depuis le mur de refend ouest à une chambre, surmontée peut-être dès l’origine d’un grenier ou « galetas », comme semble l’attester la présence d’un jour en haut du pignon ouest et d’une porte en partie haute du refend.

La formule du manoir à plan rectangulaire à deux pièces en rez-de-chaussée sera largement utilisée à Guérande jusqu’au milieu du XVIe siècle. On la retrouve notamment, associant salle basse et cuisine, dans le premier état du manoir de Villeneuve à la fin du XVe siècle, au manoir voisin de la Porte-Calon ou à Saint-Nom vers 1500. C’est très certainement aussi le type de plan qu’adoptait le manoir de Kerroland, bâti pour l’un des membres de la famille de La Touche dans les premières décennies du XVIe siècle. Dans ces logis, contrairement à Kerpondarm, l’étage est desservi par une tour d’escalier hors-œuvre dont le noyau se situe systématiquement au droit du refend. Quelles que soient la forme et la situation de la tour d’escalier – sur la façade antérieure, à Villeneuve et à Kerroland, ou postérieure, à Saint-Nomet à la Porte- Calon –, l’entrée se fait toujours directement par la salle basse.

Du fait des remaniements successifs, la distribution des étages est parfois difficile à appréhender, d’autant que certaines pièces ont pu être divisées, dès le Moyen Âge, par des cloisons de bois. Au manoir de la Porte-Calon, les proportions de la pièce surmontant la salle basse attestent, comme à Kerpondarm, l’existence d’une salle haute montant probablement directement sous charpente, associée à une chambre – disposition qui paraît abandonnée, à la lecture d’un inventaire, dès le deuxième quart du XVIIe siècle. C’est aussi sans doute l’organisation que reprenaient les logis de Villeneuve et de Saint-Nom. Par sa position, en hauteur, et son volume, sous charpente, que vient parfois renforcer le décor plus soigné de la cheminée, la salle haute atteste une hiérarchisation des fonctions. Cette pièce constituait souvent la véritable pièce d’apparat du logis, la salle basse privilégiant la vie quotidienne. L’accès réservé de ces espaces se matérialise également par le soin apporté à la porte de l’escalier et à la base de son noyau.

À partir des années 1450 apparaissent des logis au plan plus complexe, témoignant de programmes plus ambitieux. Le remarquable manoir de Kersalio, bâti vraisemblablement au milieu du XVe siècle pour Jehan I Le Guennec, écuyer et chambellan du duc Jean V, ou pour son fils Jehan II, adopte ainsi un plan en L associant cuisine, salle basse et cellier en rez-de-chaussée.

La salle basse, aisément identifiable par ses proportions – 14,10 mètres de long sur 5,40 mètres de large –, était chauffée par une cheminée monumentale engagée dans le mur-pignon ouest, dont la hotte est portée par des consoles à ressauts. Un placard mural, à gauche de cette dernière, et deux crédences complétaient l’équipement. Les remaniements de la façade au cours du XIXe siècle empêchent d’en faire une bonne lecture, mais il est certain que l’accès à la salle se faisait à l’origine directement depuis le sud. Il existait néanmoins un autre accès dans la tour d’escalier circulaire, située à l’angle des deux corps de bâtiment, à l’arrière du logis. La salle basse était accompagnée à l’est d’une pièce de 7 mètres de long sur 5,40 mètres de large qui pourrait avoir fait office de cuisine, bien qu’il ne reste actuellement plus de trace de la cheminée, située très vraisemblablement sur le mur pignon est. Cette pièce possédait une entrée indépendante au nord et surmontait une cave aérée de soupiraux, dont l’accès se faisait depuis la cour par un escalier droit. L’aile en retour, au nord de la salle basse, desservie uniquement par la tour d’escalier, abritait également une pièce ancillaire – probablement un cellier – de 9,30 mètres de long sur 5,70 mètres de large, éclairée de deux jours dont l’un était jadis couvert d’un linteau trilobé. Correspondant strictement à celui du rez-de-chaussée, l’étage se composait d’une salle haute et de deux chambres, l’une au-dessus de la cuisine, l’autre au-dessus du cellier. La salle haute, sans doute à l’origine sous charpente, était chauffée par une cheminée située au-dessus de celle de la salle basse, dont la hotte reposait sur deux piédroits surmontés de consoles à ressauts.

Si le manoir de Kersalio a été d’emblée construit sur un plan en L, plusieurs logis reprenant ce type de plan sont en réalité le résultat d’une réfection postérieure. À Cardinal, déjà cité, est entreprise probablement au milieu du XVe siècle la construction d’une aile en retour à l’ouest, desservie par une tour d’escalier placée dans l’angle intérieur. Cette aile modifie la distribution du logis existant et justifie la transformation de l’ancienne croisée occidentale de la cuisine en porte. Un phénomène similaire s’observe au manoir du Cosquer, où le logis primitif a vraisemblablement été agrandi par la famille de Sécillon dans la première moitié du XVIe siècle pour prendre un plan en L desservi par une tour d’escalier circulaire. À Villejames, à la même époque, le premier bâtiment nord est amputé d’un tiers de sa largeur, à l’est, puis augmenté d’une aile en retour d’angle, au sud-ouest, flanquée d’une tour d’escalier hors-œuvre de plan circulaire.

À Villeneuve, le premier logis est visiblement agrandi dans le deuxième quart du XVIe siècle de deux corps de bâtiment, l’un au nord, l’autre à l’ouest, dont la synchronie de construction est attestée par la liaison des maçonneries dans l’angle nord-ouest. Cette extension, qui vient former un plan proche du T, permet l’aménagement d’une cave et d’un cellier, tous deux semi-enterrés et accessibles depuis la cuisine par une volée de marches. Au-dessus prennent place un rez-de-chaussée surélevé et un étage de comble accueillant des chambres ; l’une d’elles, au-dessus de la cave, équipée d’un judas destiné à surveiller la cuisine, pourrait avoir fait office de « chambre unique ». Cette nouvelle distribution du logis, qui implique la création d’une nouvelle petite vis d’escalier dans l’épaisseur des murs de l’angle nord-est, témoigne de la volonté d’agrandissement des espaces de vie propre aux premières décennies du XVIe siècle.

Dans les années 1500, les tours d’escalier hors-œuvre de forme circulaire semblent avoir été la norme dans les logis guérandais. On les retrouve sur la façade postérieure (Saint-Nom, la Porte-Calon, Larloc, Villejames,Careil), dans l’angle en façade antérieure (Bogat, Cardinal, Villeneuve, 2e phase) ou encore dans l’angle en façade postérieure (Kersalio, le Cosquer). À Villeneuve et Kerroland, la tour est polygonale en façade antérieure, ce qui pourrait suggérer une datation antérieure. Lorsqu’elle est placée sur la façade antérieure du logis, la tour d’escalier possède rarement une porte, l’entrée se faisant toujours directement dans la salle. Dans le cas d’une vis à l’arrière du logis, bien que l’accès principal se fasse par la grande salle, la tour peut être percée d’une entrée secondaire (Kersalio, le Cosquer).

À Kersalio, la présence, connue par l’iconographie, d’une petite vis secondaire au dernier niveau de la tour témoigne de l’existence d’une pièce haute au-dessus de celle-ci, destinée à la retraite et à l’étude. À Saint-Nom, dans un dispositif peu fréquent dans la région, la tour d’escalier est surmontée d’un pigeonnier.

Le décor des manoirs guérandais des trois premiers quarts du XVe siècle se caractérise par son extrême sobriété. Les portes couvertes en plein-cintre ou d’un arc légèrement brisé sont sculptées d’un chanfrein ou d’un cavet plus ou moins large, décors que reprennent les fenêtres dont la principale caractéristique est l’absence d’appui saillant (Kerpondarm, Kersalio, Cardinal). À Kersalio et à Cardinal, les portes de la tour d’escalier semblent adopter au milieu du XVe siècle, de manière indifférenciée, le couvrement à linteau droit posé sur coussinets ou le plein-cintre. Plusieurs manoirs de cette époque se caractérisent également par l’ouverture de petits jours couverts d’un linteau trilobé (Kersalio, Crémeur).

Le dernier quart du XVe siècle et les premières décennies du XVIe marquent un renouveau dans la construction des manoirs guérandais. 70 % des logis conservés présentent des vestiges attribuables à cette époque marquée par un attachement au décor flamboyant. Si, au manoir de Kerroland, seule la porte d’entrée conserve son gâble en accolade orné de fleurons, le manoir de la Porte-Calon présente, lui, toutes les caractéristiques d’une période marquée par le développement du décor sur la façade et le goût pour l’ornementation. Comme à Kerroland, le logis de la Porte-Calon possède une porte d’entrée couverte d’un gâble en accolade, mais son décor à fleurons et choux frisés témoigne d’un programme plus soigné. Les rampants se terminent par des culots ornés de figures zoomorphes et le tympan est sculpté d’un cœur, armes des Calon. L’effort ornemental a aussi porté sur les linteaux à accolade des fenêtres, la corniche et les crossettes des pignons, ornées de figures zoomorphes et de motifs végétaux. Le même souci ornemental se retrouve au manoir de la Jalousie, propriété d’Antoine Sorel, receveur de l’évêque de Nantes. À Villeneuve, autre propriété de la famille Calon, le décor, plus simple, pourrait traduire une légère antériorité de la construction. L’influence de la Porte-Calon sur Villeneuve – ou l’inverse – est ici manifeste, tant le soin apporté à l’appareil de pierre de taille et la forme des baies, notamment celle du premier étage, sont similaires. On peut d’ailleurs se demander s’il ne s’agit pas dans les deux cas du même maître d’œuvre.

Dans les premières décennies du XVIe siècle, certains manoirs, comme celui de Saint-Nom, présentent un décor plus sobre traduisant sans doute un degré de richesse moindre. Un ensemble de manoirs guérandais (Saint-Nom, le Blanc, le Cosquer) se caractérise ainsi par la simplicité du traitement de la porte d’entrée couverte d’un arc en anse-de-panier mouluré, modèle parfois retrouvé sur de modestes tenures paysannes.

L’organisation du « pourpris » et des dépendances

Centre d’un domaine agricole exploité en faire-valoir direct, le manoir est accompagné d’un certain nombre de constructions et d’aménagements liés à son statut privilégié et à la diversité des activités qui s’y exercent. Cet ensemble, bien souvent délimité par un mur ou un fossé, comprenant les bâtiments d’exploitation et plusieurs parcelles attenantes, est désigné dans les textes par le terme de « pourpris ». Rarement conservées, les dépendances agricoles des manoirs guérandais sont très mal connues. La plupart du temps, elles devaient prendre place autour de la cour, qui servait également d’aire de travail. Les aveux modernes les déclinent en plusieurs termes : « estable » ou « jarts » à bœufs, à vaches, à chevaux, à porcs, à brebis, mais aussi fournil et pressoir. Les fouilles du manoir de Villejames ont permis de mettre au jour, sur près de 1,50 hectare, un ensemble de bâtiments annexes des XVe et XVIe siècles, à vocation agricole, dont l’affectation précise (écuries, étables, porcherie) demeure toutefois incertaine. Ces derniers prenaient place autour d’une cour soigneusement pavée, dotée d’un réseau de canalisations pour l’évacuation des eaux usées. La plupart des sites ont dû très tôt disposer d’espaces de stockage destinés à engranger les redevances en nature des tenanciers. Dès le XVe siècle s’est ainsi imposé dans l’Ouest l’usage de granges de dimensions variables afin d’entreposer « les blez ». À Guérande, les évêques de Nantes possédaient au début du XVIe siècle plusieurs granges dîmières à Folhouët, Saint-Michel, Tesson, Careil et Trescalan. Le « pourpris » comprenait souvent un jardin potager et/ou un verger, sur une grande parcelle contiguë aux bâtiments. La culture des plantes légumineuses (fèves, pois), du lin, du chanvre et des fruits permettait d’assurer une certaine autonomie au domaine. Des courtils et jardins sont ainsi signalés dans les aveux de Crémeur en 1423, de Cardinal en 1539, au Cosquer en 1540 et à Kerroland en 1541. Des pièces « plantées sous vigne » sont mentionnées dès 1393 à Cardinal ou en 1541 à Kerroland.

Le colombier, fuie ou refuge à pigeons, termes que l’on retrouve indistinctement dans les textes médiévaux et modernes, constituait également un symbole fort et ancien du domaine manorial. Dès 1393, un colombier est mentionné au manoir de Cardinal. Le droit de colombier, privilège de la noblesse, était important non seulement pour la chair des pigeons mais aussi parce que leur fiente (colombine) constituait un engrais recherché. Les pigeons se nourrissaient principalement aux dépens des récoltes de blé, ce qui faisait de ce droit un privilège extrêmement impopulaire. Les cahiers de doléances de la frairie de Trescalan signalent ainsi, le 31 mars 1789, que « les seigneurs ont quantité de pigeons qui ravagent toutes les levées du pauvre peuple, tant dans le temps des semences des grains, que dans leurs maturités ». Le nombre de boulins (niches destinées à recevoir les nids), théoriquement proportionnel à la surface du domaine, conditionnait le traitement architectural du pigeonnier qui pouvait se loger soit dans une tour indépendante (Lessac, Villeneuve, Cardinal), soit au cœur même du logis, dans de simples trous percés en façade (Cardinal),ou encore au dernier niveau de la tour d’escalier (Saint-Nom).

Si les manoirs de Bréhet et de Lauvergnac, sur l’actuelle commune de La Turballe, disposaient d’une chapelle privée, cela semble rarement le cas ailleurs avant le milieu du XVIe siècle. Jusqu’à cette époque, bon nombre de seigneurs semblent avoir privilégié la fondation d’une chapelle privée dans la collégiale Saint-Aubin ou dans le couvent des dominicains. Certains ont pu également se réserver le patronage et la présentation du chapelain d’une chapelle frairienne, tels les seigneurs de Careil dans le village du même nom ou ceux de Cardinal, à Miroux.

L’implantation dans le paysage

Instruments privilégiés de la mise en valeur du « terrouer », les sites manoriaux ont profondément influencé leur environnement. Leur parcellaire à maillage lâche, constitué de grandes parcelles regroupées autour des bâtiments principaux, contraste encore fortement avec celui des tenures paysannes, plus étroit, hérité de multiples partages successoraux. Ces grandes pièces de terre, souvent dénommées « parcs » sur le cadastre ancien, constituaient un symbole fort du rang du seigneur dans le paysage, que venait parfois renforcer une longue allée d’arbres, la rabine, destinée à mettre en valeur les bâtiments. Près du logis prenaient place d’autres équipements économiques. Parmi eux, la métairie qui a pu, comme à Bissin, prendre le toponyme de « Métairie de la Porte », constituait une importante source de revenus dont l’exploitation, baillée avec outils et bétail, était entièrement confiée à un paysan exempté du fouage. En 1473, Pierre de Larloc se voit ainsi remettre les bêtes d’au maille et les brebis se trouvant en sa métairie de Larloc. En 1563, il est baillé au métayer trois socs de charrue, un coudre, une esterpe, un croc à fians, trois fourches, une tranche, une « failie mare », un râteau. En retour, le tenancier devait au seigneur une partie de la récolte : à la quarte ou la tierce gerbe, et pour le cheptel, à la moitié. Le processus de création des métairies semble s’amorcer à Guérande à la fin du Moyen Âge. La paroisse en enregistre vingt-deux entre le 7 juin et le 16 décembre 1540. Chaque seigneurie disposait d’au moins une métairie selon la règle énoncée lors de la réformation générale des feux, mais qui n’était pas restrictive : Pierre II admettait le droit pour un individu de posséder trois ou quatre métairies, tout en s’efforçant d’en limiter la franchise aux manoirs anciens. Deux métairies sont ainsi signalées dans l’aveu de Cardinal en 1540 et deux autres à Renelouard. La création d’une nouvelle métairie semble parfois liée au regroupement de tenures paysannes récupérées par le seigneur. En 1489, Guillaume Calon, seigneur de Villejames, obtient une franchise de fouage sur trois maisons à Lusidic, Puy-Bourichet et Kerhilier afin de constituer une métairie qui pourrait correspondre à l’actuelle métairie de Kerhillier.

Près de 50 % des manoirs repérés possèdent, d’après le cadastre ancien, une ou plusieurs pièces d’eau – étangs ou viviers – dans leur entourage immédiat. Les étangs de Kercabus, de Cardinal, de Crémeur, de Kerroland ou du Cosquer sont peut-être d’origine artificielle, résultant de l’élargissement d’un ruisseau ou d’une noë. Certains ont résolument une origine ancienne : celui de Cardinal est cité dans l’aveu de 1393 et celui de Crémeur en 1423. L’aveu de Lessac signale en 1602 « un viel estang avec muraille » au bout « du bois donnant sur le ruau de Lessac-Chevalier », suggérant que celui-ci était maçonné. L’une des raisons de posséder un étang était d’y implanter un moulin à retenue,au moyen d’une chaussée, susceptible de procurer des revenus. L’étang pouvait également servir de pêcherie ou de vivier, tel celui de Bogat attesté en 1540. Le droit de pêche, comme celui de chasse, étant réservé, le droit de vivier restait un privilège. Il contribuait à l’alimentation de la maisonnée et, comme les autres dépendances du manoir, à son autonomie alimentaire. Si les grands parcs de chasse clos, telle la « garenne au duc » à Pen-Bron, semblent avoir été réservés à la haute aristocratie, la petite noblesse guérandaise possédait vraisemblablement des réserves à gibier plus modestes, aménagées à l’aide de haies et de fossés. Des garennes et des parcs à connils, buttes de terre artificielles destinées à élever des lapins, sont attestés dans les sources près du manoir de Cardinal en 1539 ou au Cosquer en 1540.

Très recherchées pour des raisons économiques, les parcelles de bois fournissaient le bois de chauffage et, dans le cadre d’une gestion à long terme, le bois de construction. Des « bois anciens et de revenu » sont ainsi signalés au Cosquer en 1540 et des « bois de haute futaie » en 1539 à Cardinal. Parmi ces derniers, celui du Haut-Lessac, fort en 1421 de ses cent cinquante journaux – soit environ 75 hectares –, était probablement l’un des plus grands de la paroisse.

L’habitat isolé : la permanence des grands domaines

L’acquisition en 1566 du manoir de Saint-Nom par Pierre Yviquel, et en 1586 celle de la seigneurie de Cardinal par Jean Garenne témoignent de l’attrait nouveau que suscite, dès le milieu du XVIe siècle, la propriété d’un logis noble à Guérande pour l’élite bourgeoise croisicaise : les deux acquéreurs sont des négociants du Croisic. Révélateur également d’un certain essoufflement financier d’une partie de la noblesse guérandaise, l’achat d’un manoir et de son domaine par certains négociants croisicais semble bien souvent avoir constitué la garantie d’un placement financier face à l’incertitude des affaires. Par l’accolement d’une terre à leur nom, il a également été un moyen d’accéder à l’anoblissement.

Paradoxalement, à Guérande, le renforcement du statut social des membres de l’élite croisicaise ne s’est que peu traduit dans la pierre. Leur résidence principale est, en effet, restée cantonnée sur les quais du Croisic. Seuls la métairie et parfois le moulin, générateurs de revenus, ont fait l’objet de travaux d’entretien.

Le cas de Jean Leroy, riche armateur croisicais, anobli en 1645 en devenant maître de la chambre des comptes de Bretagne, est exemplaire. Résidant dans le prestigieux hôtel qu’il s’est fait construire au 10-11, quai de la Petite-Chambre au Croisic, il est également possessionné place du Pilori, dans la cité portuaire. Pourtant, alors que vers 1600 il acquiert le manoir guérandais de Kersalio, propriété de la famille Le Guennec depuis le début du XVe siècle, et que son mariage, vers 1614, avec Olive Garenne lui apporte en dot le manoir de Cardinal, il ne procédera qu’à de maigres réparations : à Kersalio, les seules campagnes de travaux attribuables aux Leroy consistent en la reconstruction du mur de clôture et des dépendances de la cour ; à Cardinal, à la mort de l’armateur en 1650, le manoir est signalé dans un état de délabrement avancé.

Une adaptation a minima des principes de la Renaissance

Au milieu du XVIe siècle, le manoir de tradition médiévale reste aussi et surtout le lieu de résidence de la petite noblesse guérandaise. Si, dans le deuxième quart du siècle, plusieurs logis montrent encore un attachement au répertoire flamboyant, dès les années 1530-1540 certains autres adoptent le vocabulaire de la Renaissance. La porte d’entrée du manoir de Larloc, dans le faubourg Saint-Michel, s’inscrit ainsi dans une travée flanquée de pilastres décorés de cercles, surmontée d’un entablement et couronnée d’un fronton à coquille. Ce décor contraste avec le volume encore médiéval du manoir et de la tour d’escalier en vis circulaire rejetée à l’arrière, si bien que l’on peut se demander s’il n’est pas venu se plaquer sur un édifice plus ancien. Cette campagne de modernisation est due à l’un des membres de la famille Deno, détentrice de la seigneurie depuis le deuxième quart du XVe siècle, dont les armes, ornées d’une guirlande, sont sculptées sur l’entablement de la porte. Elles pourraient plus précisément être attribuées à François Deno, seigneur de Larloc en 1540, dont les armoiries peintes « d’or au sautoir de gueules chargé de cinq fleurs de lys d’argent », associées à celles de Jeanne Goheau de Saint-Aignan, « de gueules à la bande d’argent, accompagnée de trois trèfles de même », se retrouvent sur l’une des cheminées de l’étage.

Parmi les programmes d’envergure qui marquent la Renaissance dans la presqu’île, la modernisation de l’ancien logis noble de Careil est très certainement l’un des plus remarquables. Ancienne propriété de la famille Lecomte à la fin du XVe siècle, le domaine passe par mariage dans la famille du Boays de Baulac, originaire de Goven en Ille-et-Vilaine, au début du XVIe siècle. C’est probablement à Jean II du Boays, qui figure dès les années 1558 parmi les chefs protestants bretons prenant une part active aux guerres de Religion, que l’on doit la modernisation du logis et la fortification du site, ceinturé de courtines et de tours semi-circulaires, avec un chemin de ronde en encorbellement sur mâchicoulis percé de canonnières.

Le nouveau logis se caractérise par le soin apporté au traitement de la façade sur cour, rythmée de trois travées de baies. Cependant, l’ordonnance générale, imparfaitement symétrique, reflète encore la distribution antérieure. L’ancienne tour d’escalier, dans l’angle sud-est, est néanmoins abandonnée pour laisser place à une vis dans-œuvre, placée à l’ouest, dans laquelle on entre par une imposante porte en arc segmentaire, surmontée d’un entablement décoré de médaillons. L’ornementation des lucarnes flanquées de pilastres, coiffées d’un entablement, d’un fronton à coquille et d’acrotères, n’est pas sans rappeler, en plus élaboré, celle de la porte du manoir de Larloc, probablement contemporain. Elle témoigne de la diffusion, assez rare dans la presqu’île, des modèles de la première Renaissance française, dont les premières réalisations ont sans doute été mises en œuvre dès les années 1530-1540 à la collégiale Saint-Aubin.

Peu avant 1576, le procureur du roi Pierre Jouan, issu d’une famille de bourgeois guérandais anoblie sous Jean V, est probablement à l’origine de la construction a novo d’un grand corps de logis sur son domaine de Kercassier. Pour la première fois à Guérande, l’édifice intègre un escalier rampe-sur-rampe composé de quatre volées droites en granite, de part et d’autre duquel s’ouvrent les pièces, au nord et au sud. L’entrée de l’escalier est fortement marquée sur la façade principale par une porte en plein-cintre avec agrafe à la clé, encadrée de pilastres et surmontée d’un fronton triangulaire sculpté aux armes des Jouan, « d’azur au chevron d’or, chargé de 3 molettes de gueules et accompagné de 3 soleils d’or ». Bien qu’entièrement reconstruite, la partie sud du logis conserve ses portes d’origine au rez-de-chaussée et à l’étage, couvertes en plein-cintre et décorées à la clé de mascarons à têtes d’Indiens.

Plus modeste est l’adaptation de l’escalier rampe-sur-rampe par l’un des membres de la famille Madic, au manoir de Drézeux. Intégré dans un corps de bâtiment légèrement saillant à l’arrière du logis, celui-ci semble remplacer une ancienne tour d’escalier en vis, et participer d’une modernisation de l’ancien logis médiéval augmenté vers l’ouest pour former un plan double en profondeur. L’escalier, desservant le premier étage et le niveau de comble, se compose de quatre volées déchargées par des arcs en plein-cintre en tuffeau dont les clés à crossettes se retrouvent sur les portes des pièces qu’il distribue. Sur le dernier palier, une petite vis du même matériau desservait probablement une « pièce haute », sans doute de plan carré, débordant au-dessus du toit. S’il apparaît innovant à Guérande, l’escalier rampe-sur-rampe de Drézeux continue pourtant de s’inscrire dans un schéma de distribution traditionnel. Son emplacement dans une tour carrée demi-hors-œuvre, à l’arrière du logis, reste en effet celui des manoirs médiévaux, disposition qui demeurera la référence, jusque dans lesannées1650, dans les hôtels urbains guérandais.

Du logis seigneurial au château classique

Au milieu du XVIIe siècle, c’est encore à la noblesse d’ancienne extraction que l’on doit la plupart des initiatives privées. À Kerhué, la reconstruction du manoir est sans doute attribuable à l’un des membres de la famille Cramezel, dont les armes, « de gueules à trois dauphins d’argent, 2 et 1 », sont sculptées sur l’une des lucarnes de la façade nord. À Careil, c’est très probablement à Marguerite Tillon, douairière de la seigneurie, que l’on doit la reconstruction de l’aile de communs occidentale, bâtie sur l’ancienne courtine du château. Couvert d’une imposante charpente à pannes dotée de neuf fermes, le comble du bâtiment est éclairé de quatre lucarnes à fronton-pignon en ailerons, dont le modèle, orné de feuilles de laurier, se rencontre dans l’intra-muros dans les décennies 1630-1640. Cette influence se retrouve dans les mêmes années sur la façade à trois travées du logis de Kercabus, où les lucarnes à fronton cintré viennent rompre la continuité de l’élégante corniche à denticules.

La reconstruction du château de Coëtsal par l’un des membres de la famille Le Boteuc, à la fin du XVIIe siècle ou dans les premières décennies du XVIIIe siècle, inaugure une série de logis nobles, dont le grand toit à croupe, les larges souches de cheminées, la corniche et les lucarnes en arc segmentaire à l’aplomb des travées demeureront inchangés pendant près d’un siècle. Son élévation à travées n’est pas sans rappeler celle de l’hôtel de Kerhué, construit peu avant 1684 pour Jean Lefebvre, sieur de Crubalay, dans le faubourg Saint-Armel. Comme lui, Coëtsal possède des cheminées dont la hotte droite est portée par des consoles en talon renversé et un escalier intérieur en charpente à balustres en poire, modèle déjà vu au 4, rue de la Psallette, autre propriété des Le Boteuc dans le dernier quart du XVIIe siècle.

Vers 1780, les mêmes principes se retrouvent au château de Kerfur, probablement reconstruit par Louis-François de Sécillon et Jeanne de Champeaux. De plan rectangulaire régulier, le bâtiment s’élève sur trois niveaux : un rez-de-chaussée, un étage carré et un niveau de comble, desservis par un escalier à retours à jour central. La façade antérieure est rythmée par six travées de baies, dont trois sont couvertes en arc segmentaire et trois d’un linteau. Le comble est éclairé de lucarnes à fronton cintré, excepté l’une d’elles qui est à fronton triangulaire, particularité rencontrée en 1787 à l’hôtel de la Grillère, rue Bizienne. Ce modèle courant de lucarnes à fronton cintré se retrouve en 1786 sur l’aile nord du manoir de Bogat, dont la modernisation doit être attribuée à Claude-Joseph de Monti et Eulalie Danisy.

Michel Roger, avocat au parlement de Paris, qui obtient la charge de conseiller rapporteur du point d’honneur en la sénéchaussée royale de Guérande, rachète, dans le dernier quart du XVIIe siècle, une partie de la châtellenie de Careil qui avait été divisée en 1674, et la seigneurie de Bissin. En 1704, il entreprend la reconstruction totale du logis de cette dernière à l’emplacement de l’ancienne maison noble et confie les travaux à trois artisans locaux : le maître maçon Julien Coedro, le maître charpentier Olivier Le Poitevin et le maître couvreur Julien Jouin. Le montant du marché, 700 livres, témoigne d’une reconstruction à moindre coût. Les matériaux sont notamment prélevés sur l’ancien logis, ainsi que sur la métairie de Bézans dont la destruction est ordonnée. Les pièces s’organisaient, à l’origine, de part et d’autre d’un vestibule d’entrée : à l’est, une salle de 15 pieds de long sur 13 pieds de large ouvrant sur un cabinet de 15 pieds sur 10. À l’ouest, le vestibule desservait une cuisine de 14 pieds sur 13, équipée d’une cheminée de granite toujours visible, à l’arrière de laquelle prenait place un office. Le logis était prolongé à l’ouest par une écurie de 14 pieds sur 11, encore observable sur une carte postale du début du XXe siècle et derrière laquelle se situait un cellier. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, la réaffirmation de la noblesse guérandaise passe par la reconstruction de deux symboles forts de la seigneurie, le pigeonnier et la chapelle. Le durcissement des conditions d’autorisation du droit de fuie – notamment l’obligation de posséder au minimum trois cents journaux de terre d’un seul tenant, réaffirmée dans la nouvelle coutume de Bretagne en 1580 – a sans doute contribué à renforcer le caractère honorifique du pigeonnier, dont la construction dissociée du logis adopte désormais systématiquement un large volume circulaire en pierre couvert d’un toit conique d’ardoises, voire d’un dôme. En 1677, le marché de reconstruction du pigeonnier de Trévaly, passé entre François de Kermeno et le maître maçon Jacques Hurtaud, prévoyait un pigeonnier de même diamètre que le précédent, pourvu de boulins de 6 à 7 pouces de hauteur, 5 à 6 pouces de largeur et 15 pouces de profondeur, et couvert d’un dôme de pierre de taille identique à celui du pigeonnier de Lessac. À Villeneuve, la tour-fuie, datée 1771, également couverte d’un dôme, conserve à l’intérieur trois cent trente-six boulins répartis sur quatorze assises, nombre élevé témoignant de l’importance du domaine.

Encore marginale dans les manoirs guérandais à la fin du Moyen Âge, la chapelle fait, également à partir des années 1600, une entrée remarquée dans l’enclos manorial. Un tiers des manoirs repérés sur la commune – quatorze occurrences – possède ou possédait une chapelle à l’époque moderne. En 1628, à Coëtsal, la chapelle est signalée comme « bastye de neuf ». À Villeneuve, elle pourrait avoir été construite au milieu du XVIIe siècle, plus précisément entre 1649 et 1652, et celle du Cosquer entre 1622 et 1679. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les chapelles adoptent généralement un plan simple, de forme allongée, présentant parfois un chevet à pans coupés. À l’intérieur, le lambris de la charpente constituait sans doute,avec le mobilier liturgique, le seul décor de ces édifices dépouillés, même si les murs ont parfois accueilli un décor peint, comme à Villeneuve.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les espaces paysagers se structurent et s’organisent, plus ou moins régulièrement, en fonction au logis, auquel on continue d’accéder par une longue allée d’arbres. Le plan des Côtes de Bretagne, levé vers 1785, signale au moins seize manoirs pourvus d’un jardin d’agrément. La gradation des espaces entre le logis et le paysage est assurée par l’agencement des couverts, bassins, parterres et boulingrins, et des découverts, bosquets et quinconces, qui assurent la transition avec la campagne. Ces jardins ont actuellement presque tous disparu, emportés au cours du XIXe siècle par la vogue des parcs paysagers. Pour de nombreux propriétaires urbains, également possessionnés dans le monde rural, le jardin et la résidence à la campagne apparaissent comme la manifestation d’un certain art de vivre, loin de l’agitation de la cité. Le journal tenu par Charles Morvan (1675-1742), seigneur de Kerpondarm, alloué de la sénéchaussée et lieutenant général civil et criminel de police au siège de Guérande, traduit bien, dans la première moitié du XVIIIe siècle, ce nouveau genre de vie : s’il réside habituellement dans son hôtel de la Trémillet, rue Bizienne, il aime se retirer plusieurs semaines dans sa maison du coteau de Congor, face au marais, où il entretient un jardin et cultive des vergers.

La réfection des manoirs et des maisons de maîtres

Au lendemain de la Révolution, le retour des élites guérandaises traditionnelles s’est traduit par la réappropriation progressive des anciens domaines nobles ruraux par quelques grandes familles terriennes. Si la plupart d’entre elles, à l’image des Le Chauff de Kerguenec ou des Rouaud de la Villemartin, ont alors préféré une installation dans l’intra-muros, d’autres, telles les Sécillon à Kerfur ou les Calvé de Soursac à Kerroland, rachètent dès les années 1800 un habitat digne de leur rang.

Dans la première moitié du XIXe siècle, peu de châteaux ou de manoirs font toutefois l’objet d’une restauration ou d’une reconstruction. Si, à Villeneuve, Ange Jean-Baptiste Mascarène de la Rivière et Adélaïde de Sécillon sont à l’origine, en 1817, d’une campagne de restauration de la façade sud du logis et d’une modernisation de ses espaces intérieurs, il faut attendre le deuxième ou le troisième quart du siècle pour voir les premières restaurations d’envergure.

Dans les mêmes années, Françoise-Marie Bossart du Clos, épouse en secondes noces de Jean-Louis Fournier du Pellan, rachète ainsi à la famille Roger la terre et le manoir de Bissin. Ce n’est cependant qu’à leur petit-fils, Gaston Fournier du Pellan (1838-1882), maire de Guérande de 1871 à 1878 et conseiller général de Loire-Inférieure, qu’il faut sans doute attribuer, entre 1871 et 1882, la restauration du logis, comme l’attestent les armoiries, associées à celles de sa femme, Joséphine-Éléonore Green de Saint-Marsault, sculptées sur l’une des baies de la façade sud. Les travaux ont consisté en la surélévation d’un étage du bâtiment du XVIIIe siècle, ainsi qu’en la construction du pavillon au centre de la façade. La corniche à denticules de ce dernier, le rythme ternaire de la façade avec sa lucarne géminée au centre et le couvrement légèrement outrepassé des baies latérales, surmontées d’acrotères, ne sont pas sans rappeler la villa Ker Suser à La Baule, construite par Gustave Bourgerel en 1879 pour l’industriel nantais Henri Huser. La réfection du manoir de Bissin s’est accompagnée d’une importante modification de la trame paysagère et de l’aménagement d’un jardin de type mixte, régulier et paysager. À l’ancienne allée cavalière ouvrant sur la façade ouest du logis ont notamment succédé deux allées courbes. L’aménagement de l’ancien vivier en pièce d’eau date probablement de cette époque.

À Kerroland, Henri de Cadoret, sieur de la Gobinière à Orvault, descendant d’une famille d’échevins nantais, donne à partir de 1879 à l’ancien manoir médiéval son aspect actuel, en lui adjoignant au sud un élégant pavillon de style néogothique, flanqué d’une tourelle d’escalier pentagonale. De plan rectangulaire à pans coupés, ce pavillon est coiffé par une toiture polygonale. La façade sud reprend une ordonnance à quatre travées de baies, surmontée par une ceinture de faux mâchicoulis. L’œuvre n’est pas sans rappeler le pavillon sud du manoir de Tuloc, construit en 1880 pour Jacques-Ernest Boyer (1814-1890), ancien préfet de Corse et demi-frère du poète breton Auguste Brizeux. Offrant l’un des plus beaux panoramas sur la rade du Croisic, le pavillon développe sa façade principale à deux travées sur les marais salants et s’inscrit pleinement dans la recherche de bien-être qui caractérise les dernières décennies du XIXe siècle. L’intervention de l’architecte nantais René-Michel Ménard (1843-1895), que l’on sait actif à Guérande autour de ces années, n’est pas exclue. Ses compositions, marquées par un goût prononcé pour le néogothique, se retrouvent également au Croisic et à Pornic.

Dans le dernier quart du XIXe siècle, la reconstruction et la modernisation de plusieurs manoirs guérandais traduisent également la réussite patente de certaines familles, issues du monde de la finance ou de l’industrie. À Lessac,le banquier Gabriel Méresse, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Saint-Nazaire et auteur d’une étude pionnière sur les marais salants de l’Ouest, acquiert ainsi, en 1878, l’ancien château de la famille de Courson et en entreprend la modernisation. Au nord, le logis est augmenté d’un imposant pavillon d’angle à échauguette, flanqué d’une puissante tour quadrangulaire couverte d’un toit à terrasse faîtière. Au sud, un second pavillon à pans coupés, surmonté d’un toit à l’impériale, est adjoint au pignon. L’éclectisme et l’exubérance du pavillon nord, dont l’architecte demeure malheureusement inconnu, tangibles notamment dans les proportions et le décor de la lucarne centrale, témoignent de la volonté d’ostentation de son commanditaire. Ce dernier avait parallèlement investi dans le « quartier des étrangers » sur le coteau de Mustapha, à Alger, où il était propriétaire, vers 1892, de la villa La Reine, au 2, rue Fontaine-Bleue.

Si l’architecte de Lessac reste anonyme, la reconstruction du manoir de Tesson, en 1890, pour l’inspecteur général des Ponts et Chaussées Théodore-Marie Lorieux (1834-1921), est traditionnellement attribuée à l’architecte nazairien Henri Van den Broucke. S’étant notamment distingué par la construction du Grand Hôtel de Pornichet, en 1884, celui-ci est également l’architecte, dans la même ville, de la villa Ar Bann construite pour le physicien Henri Becquerel et sa seconde épouse, Louise-Désirée Lorieux, nièce de Théodore Lorieux. À Tesson, on doit probablement à Van den Broucke la reconstruction du grand corps de logis ouest, à quatre travées de baies, flanqué d’une tour carrée coiffée d’un toit en pavillon, ainsi que le rehaussement de l’aile est, présentant des lucarnes similaires. L’oriel, sur le pignon sud, date en revanche du premier quart du XXe siècle, tout comme la reprise complète de la façade est, en style régionaliste breton, dont le bossage rustique en encadrement des baies, des arcs de décharge et des chaînes d’angle, inconnu de l’architecte nazairien, ne peut être antérieur aux années 1920-1930. Dans le salon d’hiver, deux médaillons en grisaille bleue et un trumeau de cheminée sont signés de Luc-Olivier Merson (1846-1920).

Comme à Bissin et Lessac, la reconstruction du château de Tesson s’est accompagnée d’une importante réorganisation de l’espace paysager et de la création d’un jardin. Le maillage ancien composé de structures quadrangulaires sans organisation particulière a laissé place à une vaste composition unitaire de style paysager. Parallèlement fut bâti un ensemble de constructions : une ferme, des écuries, des communs, un puits et un château d’eau pour l’alimentation de la maisonnée.

  • Période(s)
    • Principale : Fin du Moyen Age
    • Principale : Temps modernes
  • Toits
  • Décompte des œuvres
    • bâti INSEE 7 625
    • repérées 51
    • étudiées 17
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Bibliographie

  • DURANDIÈRE, Ronan, GALLICÉ, Alain, BURON, Gildas, DEVALS, Christophe, DELPIRE, Laurent, CUSSONNEAU, Christian. Guérande : ville close, territoire ouvert, Nantes : Éditions 303, 2014. (Cahier du patrimoine ; n° 111)

Date(s) d'enquête : 2007; Date(s) de rédaction : 2007
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