Fontevraud-l'Abbaye est une commune particulièrement originale du point de vue de la formation de son bourg, longtemps demeuré embryonnaire et constitué tardivement et de manière très progressive, notamment par le rattachement d'écarts au moyen d'un comblement interstitiel peu dense. Cet urbanisme souligne les interactions fortes qui existèrent entre l'abbaye et le village, tant dans la mise à distance que dans l'impulsion économique et urbaine. Un tel phénomène, dans une moindre mesure, perdura encore à l'époque contemporaine où la maison centrale de détention continua d'influer sur le développement du bourg, tout en maintenant la présence de la clôture. Dans une sorte de continuité d'une telle dualité, l'enjeu actuel de ce territoire est de parvenir à inscrire les nouvelles dynamiques suscitées par la structure culturelle de l'Abbaye Royale de Fontevraud dans l'espace communal.
Un peuplement ancien, mais très ponctuel
Dans l'état actuel des connaissances, les traces de premières implantations humaines sont ténues et les plus anciens vestiges repérés sur le territoire de l'actuelle commune de Fontevraud-l'Abbaye sont d'époque néolithique et ont été identifiés sur les sites des Tailles-Mortes, de l'Alouette et du Poteau-d'Arrée.
Fontevraud-l'Abbaye connut une implantation antique dont on ignore l'importance et les mentions d'une voie romaine traversant cette commune ne s'appuient sur aucun élément tangible. Il est toutefois vraisemblable qu'ait existé, au moins dès le Haut Moyen Âge, un itinéraire longeant l'Arceau. Cette hypothèse s'appuie sur un texte de la première moitié du XIIe siècle, indiquant que près de Mestré passe une voie ancienne, dite chaussée Saint-Hilaire (« calciatam videlicet antiquam que dicitur adhuc sancti Hylarii calciata »), dont le nom, qui évoque le saint vénéré à Poitiers, semble indiquer que son axe tend vers le Poitou et correspond sans doute à l'itinéraire qui, via Fontevraud, mène de la Loire à Loudun et au-delà à Poitiers. La mention d'une « domum hospitariam » dans le texte de la première donation à la communauté fontevriste évoque alors peut-être une maison d'accueil située le long de cet itinéraire (sans doute à proximité de là où s'implantera l'abbaye). Le premier état de la chapelle Saint-Mainbœuf (aujourd'hui détruite et dont l'origine reste inconnue) est d'ailleurs édifié sans doute entre le VIIe et le XIe siècle au bord de ce qui pourrait être ce chemin. Enfin, des fouilles archéologiques menées dans l'abbatiale de Fontevraud ont, en 1994, dévoilé l'existence de sols mis en culture bien antérieurement au début du XIIe siècle, ce qui prouve la présence sur le site d'implantations rurales au Haut Moyen Âge ou au début du Moyen Âge central. Toutefois, si Fontevraud connaît ainsi quelques traces d'occupation anciennes, elles restent assurément limitées et n'ont pas laissé trace dans la documentation.
Peu avant l'an Mil, le peuplement local se résume donc probablement à quelques bâtiments plus ou moins isolés, qui se répartissent dans le bassin versant de l'Arceau, en lisière de l'ancienne forêt-frontière, dite de Born.
Dans les premières décennies du XIIe siècle, pourtant, le paysage change radicalement pour donner naissance au cadre que l'on connaît aujourd'hui à Fontevraud-l'Abbaye.
L'installation de la communauté de Robert d'Arbrissel, au début XIIe siècle
Robert d'Arbrissel (vers 1045-1116) est un clerc, fervent partisan de la réforme grégorienne qui souhaite établir un clergé plus digne et soustraire l'Église de la mainmise de laïcs qui en ont détourné les biens et les charges. En butte à certains membres du haut clergé breton, il se réfugie en Anjou où il choisit de vivre en ermite. Installé en 1095 en forêt de Craon, il est bientôt entouré de disciples et fonde pour eux l'abbaye d'hommes de la Roë. Robert reprend ensuite son itinérance et sa prédication, soutenu par Urbain II avec lequel il avait eu une entrevue à Angers quand ce pape était venu en 1096 prêcher la réforme du clergé et la croisade.
Charismatique et atypique, Robert d'Arbrissel attire à lui un auditoire large, au sein d'une société traversée par des tensions fortes, dans un contexte d'essor économique et urbain qui s'accompagne d'une croissance des inégalités et d'une stigmatisation des plus démunis. Sa prédication se teinte plus particulièrement d'une attention portée aux femmes, qui sont alors marginales dans l'édifice social, mais au coeur des réflexions que mène le clergé sur le mariage et la continence. Riches et pauvres, clercs et laïcs, dont de nombreuses femmes, affluent ainsi autour du prédicateur et le suivent dans ses déplacements. L'ermite s'astreint lui-même à une ascèse rigoureuse et multiplie les mortifications, dont la plus polémique en son temps, le synéisaktisme, le conduisait à dormir au milieu de femmes pour éprouver sa chasteté. Craignant les dérives hétérodoxes, voire hérétiques, et dans le souci de mieux contrôler de tels groupes, les autorités ecclésiastiques s'efforcent de les fixer. C'est certainement une telle injonction, peut-être faite à la suite du concile de Poitiers en novembre 1100, qui décide Robert d'Arbrissel à établir sa communauté à Fontevraud où il arrive, semble-t-il, au début de l'année 1101. Le récit de Baudri de Bourgueil, biographe et contemporain de Robert, se plaît à évoquer un site alors sauvage et désert, « inculte et âpre, envahi de ronces et d'épines ». Ces lieux communs furent repris par les auteurs successifs jusqu'à ce que dans les dernières décennies du XXe siècle un réexamen de la documentation écrite et les fouilles archéologiques ci-dessus évoquées montrent qu'il n'en était rien. La clairière de Fontevraud était en effet déjà partiellement mise en valeur, labourée et divisée en plusieurs domaines fonciers ; toutefois, l'habitat ne devait y être qu'isolé et de faible importance. Si le choix de Robert d'Arbrissel se porte sur ce vallon, c'est qu'au-delà des facilités d'approvisionnement en eau et en ressources naturelles, il offre les conditions politiques et spirituelles nécessaires à la bonne marche de sa communauté. Le territoire où il s'installe relève en effet de la paroisse de Roiffé (Vienne) qui est dans le diocèse de Poitiers, dont l'évêque, Pierre, partage les convictions de Robert et le soutient ; cet évêque est d'ailleurs titulaire de la cure de Roiffé et c'est peut-être lui qui suggère ce site au prédicateur. Les diocèses voisins ne lui offrent pas les mêmes garanties, bien au contraire, puisque l'évêché d'Angers est vacant et soumis à de fortes tensions et que l'évêque de Tours est sous la tutelle du roi de France Philippe Ier qui vient d'être excommunié pour adultère lors du concile de Poitiers auquel a participé Robert d'Arbrissel.
Fontevraud offre surtout l'avantage d'échapper à l'influence du comte de Poitiers, le duc Guillaume IX d'Aquitaine, adversaire déclaré de Robert et qui s'est d'ailleurs opposé fermement au concile en soutenant son roi. En effet, bien que situé dans le diocèse de Poitiers, Fontevraud se trouve dans le comté d'Anjou, au centre d'un espace protégé par Saumur, Loudun et Chinon. Ces forteresses font encore partie des quelques places détenues en mains propres par le comte Foulques le Réchin, dont le pouvoir sur l'Anjou est ailleurs contesté. Mieux encore, le site choisi relève du domaine seigneurial de l'un des vassaux les plus fidèles du comte d'Anjou, Gautier de Montsoreau, lequel cède d'ailleurs ses droits seigneuriaux sur Fontevraud à la communauté de Robert d'Arbrissel. Sa propre belle-mère, Hersende de Champagne, seconde épouse de son défunt père Guillaume de Montsoreau, rejoint l'ermite qui en fait la première prieure de l'ordre naissant.
Dans une France de l'Ouest où les tensions sont donc fortes, Fontevraud constitue le havre idéal aux yeux de Robert d'Arbrissel, d'autant que, topographiquement, tout en étant relativement proche de la Loire et de son commerce, ce vallon cerné d'un massif forestier est aussi un endroit propice à l'isolement, loin des tourments du monde.
En quelques années, la communauté forte de plusieurs centaines de membres constitue un ensemble monastique qui répond aux exigences du prédicateur. Un premier oratoire est édifié, dédié à la Vierge. Aux installations temporaires initiales se substitue un cadre organisé en plusieurs monastères. Les hommes sont divisés entre clercs, qui se consacrent aux tâches spirituelles et dont l'établissement est plus tard connu sous le nom de prieuré Saint-Jean-de-l'Habit, et laïcs, qui assurent par leur travail le bon fonctionnement de toute la communauté. Isolées par des clôtures, les femmes sont elles-mêmes scindées entre vierges et veuves (qui constituent le couvent principal, grand cloître plus tard désigné comme Grand-Moûtier et rattaché à l'abbatiale), et filles repenties (dont le couvent est placé sous le vocable de Sainte-Marie-Madeleine).
Un peu avant 1104, cependant, Robert d'Arbrissel reprend une prédication itinérante qui, jusqu'à sa mort en 1116, le ramène plusieurs fois à Fontevraud. Il dote la communauté de statuts qui reçoivent l'approbation pontificale et sont inspirés du modèle bénédictin, mais qui ont pour très forte originalité de placer ce monastère double sous la houlette d'une femme. Robert renverse ici les usages en vigueur, sans doute comme une mortification supplémentaire que devaient supporter les frères, soumis aux soeurs. Rapidement, d'ailleurs, avec la première grande prieure, Hersende de Montsoreau, puis la première abbesse, Pétronille de Chemillé, la tonalité féminine de l'ordre s'impose, dès lors portée par des abbesses souvent issues des plus prestigieux lignages.
L'organisation du territoire et de l'habitat, du XIIe au XVe siècle
À Fontevraud, les statuts institués pour les frères de l'ordre leur défendent de concéder aux laïcs les terres qui entourent l'abbaye pour y établir des habitations. Cet interdit originel est réitéré à plusieurs reprises dans les décennies suivantes, par les papes Calixte II en 1119, Innocent II en 1137 et Eugène III en 1150. Ces textes imposent une telle mise à distance dans le but de préserver le retrait monastique et la tranquillité nécessaire à la dévotion et aux offices. Eugène III porte à un rayon d'une demi-lieue la distance à laquelle s'applique l'interdit. Passées les toutes premières années, il semble ainsi que le bâti villageois soit rejeté loin de l'abbaye pour se concentrer surtout plus au nord, aux Roches, hameau notamment constitué de nombreuses habitations troglodytiques. Dans un rayon de plusieurs centaines de mètres, des espaces sont alors maintenus vides, comme sanctuarisés, notamment pour des raisons économiques comme c'est le cas des vastes parcelles exploitées en faire-valoir direct par les différents couvents, clos Saint-Lazare au sud-est ou Grand-clos au nord-ouest. Le relief assez abrupt et la forêt, au nord-est, achèvent d'isoler l'abbaye. Aux abords de celle-ci ne sont édifiés que des bâtiments à son usage, maisons des serviteurs et dépendances agricoles. Lorsqu'en 1177 Fontevraud est distrait de Roiffé pour former une paroisse à part entière, l'église paroissiale Saint-Michel, environnée d'un grand cimetière, est donc relativement isolée. Progressivement, en plus des Roches, plusieurs hameaux gravitent autour de l'abbaye comme le Bourg-de-Lassé (actuelles Grandes-Genières), au-delà du Grand-Clos, ou les Ormeaux et la Lizandière, au bout du cimetière. Toutefois, et en même temps qu'un certain déclin affecte l'ordre au fil du XIIIe siècle, il semble que de premières entorses à cette mise à distance surviennent et que des habitations s'implantent plus près de l'abbaye. Au début du XIVe siècle, l'on trouve ainsi mention d'un « bourg neuf » qui semble correspondre à l'Ânerie, au sud. Quelques maisons et abris troglodytiques sont aussi peu à peu établis à plus faible distance de l'abbaye, près de l'église paroissiale, mais ce noyau reste embryonnaire et l'écart des Roches est toujours qualifié de « chef de ville ». Le principe général d'une mise à distance de l'habitat villageois par de larges espaces non bâtis se maintient donc et marque pour de longs siècles l'organisation du territoire fontevriste. Au-delà des espaces bâtis, les traits majeurs du territoire se fixent. Aux environs de l'abbaye, la clairière s'élargit alors par des défrichements, notamment à partir de domaines qui en relèvent tels Mestré au nord, le Courty à l'est, l'Yreau et la Luzerne au sud ou Beaulieu et Beaurepaire à l'ouest.
Terres, prés et jardins composent le parcellaire, mais, dès cette époque, la viticulture est également présente dans le paysage comme dans l'économie fontevriste. Par ailleurs, des moulins sont attestés, actionnés par les eaux de l'Arceau et de biefs qui en dérivent.
À cet essor des XIIe et XIIIe siècles succèdent toutefois de multiples crises qui marquent les derniers siècles du Moyen Âge, notamment entre le milieu du XIVe et le milieu du XVe siècle. La peste et ses récurrences frappent les populations qui subissent aussi le passage à plusieurs reprises de bandes armées durant la guerre de Cent Ans ; il est notamment fait mention de violences du fait de gens de guerre en 1369. Les échanges sont ralentis. Les bâtiments manquent d'entretien et se dégradent, voire sont abandonnés ; les nouvelles constructions sont rares.
Parallèlement, le repli économique et la raréfaction des soutiens politiques à l'ordre de Fontevraud s'accompagnent de multiples dissensions et d'un moindre suivi de la règle monastique. La réputation de l'abbaye s'amenuise et elle n'accueille que très peu de novices. La vie recluse est moins respectée ainsi que le maintien à distance de l'habitat villageois.
Les grands chantiers, du milieu du XVe à la fin du XVIe siècle
Cependant, dès le second quart du XVe siècle, l'est de l'Anjou bénéficie d'une paix relative et la reprise économique y est précoce. Les bâtiments abbatiaux avaient souffert du repli économique comme de l'incurie généralisée des siècles précédents et plusieurs menaçaient ruine. L'abbesse Marie de Montmorency finance dès 1453 des travaux de restauration de Saint-Jean-de-l'Habit. Mais à Fontevraud, le milieu du XVe siècle est marqué surtout d'un renouveau spirituel et Marie de Bretagne, abbesse depuis 1458, entend redresser l'ordre. Elle obtient l'année suivante du pape Pie II les pouvoirs de mener à bien cette réforme. La tâche était ardue et ce fut l'œuvre, en fait, de plusieurs abbesses successives, le principe n'en étant adopté à Fontevraud même qu'à partir de Renée de Bourbon (1491-1534) sous l'abbatiat de laquelle l'abbaye-mère renaît, passant de neuf à quatre-vingt-trois religieuses de chœur. La réédification morale s'accompagne de la reconstruction architecturale de l'ensemble monastique. Renée de Bourbon débute par conséquent celle-ci par l'élément primordial de l'ordre : la clôture. Suivent le grand cloître et les bâtiments qui l'entourent, dont l'édification est achevée sous Louise de Bourbon (1534-1575). Là, c'est un gothique flamboyant qui s'impose au départ. Puis l'art de la Renaissance s'affirme avec de premiers emprunts aux modèles de l'Italie du Nord, pour voir plus tard triompher les canons antiquisants. L'habitat villageois est aussi affecté par ces transformations. Au petit noyau d'habitations qui s'était établi à proximité de l'abbaye entre ses propres bâtiments de service et l'actuelle rue des Masques, s'agrègent bientôt de nouvelles constructions qui étoffent ce qui devient un bourg. En effet, sans doute du fait de ce que désormais l'imposante clôture de Renée de Bourbon dissocie de manière nette le cœur de l'abbaye de l'habitat villageois, les interdits anciens s'effacent progressivement. En 1549, lorsque le roi Henri II accède à la requête de Louise de Bourbon et lui accorde la tenue d'un marché hebdomadaire et de deux foires annuelles à Fontevraud, l'abbesse choisit, parmi les espaces vides aux abords de l'abbaye, d'empiéter sur le vaste cimetière paroissial pour ériger des halles et en obtient la permission de l'évêché de Poitiers. Ces halles sont alors construites parallèlement à l'église Saint-Michel, à proximité de la clôture abbatiale et les foires passent à quatre par an en 1577. Entre cette même année 1577 et 1579, sous Éléonore de Bourbon, sont alloties les terres agricoles qui, au nord du cimetière, séparaient encore les quelques habitations voisines de l'abbaye de l'écart du carrefour des Ormeaux et l'abbesse exige alors des tenanciers d'y « faire bastir maisons et édifices ». Après quatre siècles et demi de mise à distance et désormais sous l'impulsion des abbesses elles-mêmes, le bourg de Fontevraud commence à se former le long de l'actuelle rue Robert-d'Arbrissel.
Les guerres de Religion, cependant, font s'achever dramatiquement une période qui, jusqu'au dernier tiers du XVIe siècle, s'était traduite par un renouveau exceptionnel. Fontevraud ne connaît pas d'épisode guerrier, sans doute parce qu'Éléonore de Bourbon, tante d'Henri de Navarre, futur Henri IV, y est religieuse puis abbesse. Toutefois, la prospérité de l'abbaye est quelque peu freinée et les chantiers sont alors plus limités.
Un paysage en voie de fixation, du XVIIe au XVIIIe siècle
Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, nombre des traits du paysage agraire et bâti du village se fixent pour en constituer aujourd'hui encore certaines des caractéristiques majeures. Fontevraud voit le lancement de nouveaux chantiers. Le bourg se développe notamment dans les arrière-cours des maisons élevées sur la rue principale. Là sont établies des habitations de moindre envergure et des dépendances agricoles ou artisanales, mais l'on y trouve aussi les bâtiments de service des hôtels qui se pressent aux abords du complexe abbatial et qui hébergent familles de religieuses ou commerçants et artisans attirés par l'abbaye ou les foires. À la fin du XVIIe siècle est édifié l'hôpital de la Sainte-Famille, au-delà du cimetière et du Clos-Bourbon, par la marquise de Montespan. La favorite de Louis XIV est en effet la soeur de l'abbesse Marie-Madeleine Gabrielle de Rochechouart de Mortemart à qui elle rend de nombreuses visites. Au bout de quelques années, vraisemblablement à la suite de discordes avec les moniales fontevristes, la fondation charitable est transférée à Oiron dans le Poitou, où s'est retirée Madame de Montespan. Peu après le décès des deux sœurs, les bâtiments principaux de l'hôpital de Fontevraud sont détruits, d'autres sont baillés à des habitants. Ce secteur ouest est développé encore lorsqu'en 1711, à la demande de l'abbesse Louise Françoise de Rochechouart et à nouveau avec l'accord de l'évêché de Poitiers, le cimetière paroissial est amputé de son tiers occidental pour faire un champ de foire.
Le rayonnement de l'abbaye est encore renforcé lorsque Louis XV décide, en 1738, de placer pour une dizaine d'années ses quatre filles cadettes à Fontevraud, afin de réduire les coûts de leur train de vie à la cour. Pour héberger « Mesdames de France », le logis de l'abbesse est amplifié et doté d'une aile qui se prolonge jusque dans le Clos-Bourbon, franchissant sur voûte la rue qui descend à l'Ânerie. Dans les mêmes années, quelques autres empiètements sont réalisés sur le cimetière notamment pour édifier des maisons dans le prolongement des halles. Le bourg connaît donc un réel développement, même si certains des cadres anciens qui contraignent son expansion sont toujours présents et que la paroisse de Fontevraud reste structurée en plusieurs pôles mal reliés par des espaces interstitiels encore peu denses.
Les activités artisanales et d'extraction connaissent un net élan. Des dépôts argileux, situés surtout au sud du village, permettent l'activité de potiers, présents probablement dès le XVe siècle. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, lorsque la documentation permet de mieux les identifier, ils sont installés à la Haute-Ânerie (où l'on évoque une « cave des Potiers »), à la Socraie et aux Roches. La production, assez diversifiée, se compose de céramiques d'usage courant et qui semblent avoir été diffusées sur une aire assez large ; on trouve également mention de creusets de terre cuite employés dans la métallurgie et vendus à des artisans de Villedieu-les-Poêles, dans le Cotentin.
Le paysage est marqué par quelques évolutions. Des routes sont refaites et de nouveaux tracés sont établis ; le bourg est désormais desservi par de meilleures chaussées. Sur les hauteurs, on voit apparaître le premier moulin-cavier fontevriste en 1667. Les très nombreux jardins et champs plantés d'arbres fruitiers, notamment de pruniers, permettent une activité de commercialisation de fruits qui sont séchés dans des fours, souvent aménagés en site troglodytique pour limiter le risque d'incendie. Des ensembles de fours à prunes sont ainsi mentionnés aux Roches et près de la chapelle Saint-Mainboeuf. D'une manière générale, toutefois, le dynamisme agricole reste faible.
Nouveaux cadres et recomposition du territoire
Beaucoup des caractères généraux du village, lentement constitués au fil des siècles, volent en éclat à partir de la Révolution française. Ces mutations sont brutales et radicales. En application de la loi du 2 novembre 1789, les autorités saisissent comme biens nationaux l'ensemble monastique et ses domaines exploités en faire-valoir direct. Le 13 février 1790, les vœux monastiques sont abolis et la plupart des ordres religieux sont supprimés. Dès lors, les bouleversements se succèdent.
Les religieux et convers, frères et moniales, sont dispersés ; les derniers quittent l'abbaye en 1792. Le site est pillé et dégradé. L'ensemble du mobilier ainsi que de nombreux bâtiments de l'abbaye passent en mains privées lors de ventes publiques, dépendances du complexe monastique ou édifices affermés dispersés dans la commune : logements d'officiers, moulins ou anciennes métairies. Certains des bâtiments furent démolis par leurs acquéreurs, notamment pour en vendre les matériaux (comme Saint-Jean-de-l'Habit) ; on produisit aussi du salpêtre à partir du tuffeau récupéré. L'ensemble des couvents compris dans la grande clôture ne trouve pas d'acquéreur. Rapidement, l'effondrement économique provoqué par la disparition de l'abbaye suscite une réflexion pour établir à Fontevraud une activité nouvelle. Divers projets sont proposés pour reconvertir les immenses locaux monastiques qui restent aux mains de l'État et l'on envisage ainsi la possibilité d'y implanter une manufacture de voiles en toile de chanvre ou encore un grand hôpital pour les communes alentours. En définitive, en 1804, un décret impérial fait de l'ancienne abbaye une maison de détention (sort que partagent alors d'autres abbayes comme le Mont-Saint-Michel et Clairvaux).
De longs travaux sont alors engagés pour transformer les bâtiments en pénitencier. La clôture monastique est adaptée et une enceinte supplémentaire est édifiée, doublée au nord du tracé d'une nouvelle voie (actuelle rue Saint-Jean-de-l'Habit), au prix du rachat et de la destruction par l'État de certains bâtiments antérieurement vendus comme biens nationaux. L'inauguration officielle de la prison a lieu le 3 août 1814, mais les travaux ne cessent pas pour autant et l'histoire de la maison centrale est celle d'un chantier permanent.
Les répercussions sur le bourg de Fontevraud sont tout aussi considérables. La vente de près des trois quarts des espaces qui constituaient la clôture dans sa plus grande extension libère des terrains constructibles auxquels s'ajoutent les propriétés jusqu'ici détenues en propre par l'abbaye au sein du village. En outre, l'application de mesures hygiénistes se traduit en 1814 par le déplacement du cimetière paroissial, loin des endroits habités. Le terrain ainsi libéré au cœur du bourg est alloti et mis aux enchères par la municipalité, sans transfert de sépultures. Au nord, les parcelles qui bordent la grande rue et où personne n'a été inhumé depuis des décennies sont immédiatement constructibles. Celles situées au sud, toutefois, ne peuvent l'être qu'après un délai minimal de cinq ans assorti d'une autorisation préfectorale. Entre ces deux secteurs, une promenade plantée d'arbres forme une allée centrale menant de l'église paroissiale au champ de foire et seule la chapelle Sainte-Catherine maintient là le souvenir de l'ancien cimetière. En quelques années, la grande rue voit s'ériger de nouvelles maisons dont l'alignement sud vient répondre à celui qui, au fil des siècles, s'était progressivement constitué au nord. Ce n'est donc qu'à l'issue du premier quart du XIXe siècle que le bourg de Fontevraud se constitue pleinement, autour d'une rue qui conduit de l'abbaye devenue prison à l'ancien écart des Ormeaux. Quelques années plus tard, entre 1839 et 1841, la voie qui, au sortir du bourg, mène vers Montsoreau est modifiée et traverse dès lors en ligne droite d'anciens clos qui relevaient de l'abbaye et de la cure. Des maisons sont élevées de part et d'autre de la rue Rochechouart, ainsi prolongée, ce qui contribue à progressivement arrimer au bourg l'important écart des Roches. Toutefois, l'alignement est ici bien plus discontinu et les pouvoirs publics contribuent jusque dans la seconde moitié du XXe siècle à densifier cet axe, par la construction des écoles et du bureau de poste.
Des activités traditionnelles dynamisées
Dès la période révolutionnaire, Fontevraud-l'Abbaye connaît un nouveau dynamisme. De retour en 1802 à Fontevraud, village qu'il avait connu avant 1789, François-Yves Besnard témoigne dans ses <<i>>Souvenirs d'un nonagénaire<</i>> des transformations profondes survenues entretemps. S'il regrette la morosité dans laquelle la suppression de l'abbaye semble avoir plongé la commune, il se satisfait pleinement des mutations agricoles dans lesquelles se sont engagés les habitants qui, selon lui, ne peuvent plus compter sur la charité de l'abbaye. Il observe ainsi que « de nombreuses parcelles de terrain avaient été défrichées et offraient une agréable variété de cultures, des femmes et des enfants allaient de tous côtés ramasser le fumier destiné à améliorer des terres que leur stérilité naturelle avait condamnées à l'improduction, alors qu'elles appartenaient à l'abbaye, et qui, après avoir été vendues d'abord en masse, avaient depuis été acquises en petits lots par de simples journaliers prolétaires, et ceux-ci dont la lâcheté, la fainéantise étaient passées en proverbe, se montraient depuis lors actifs et laborieux ». Il fait pour l'élevage des considérations similaires, attestant de la croissance spectaculaire du cheptel.
D'une manière générale, les surfaces plantées en vigne s'accroissent et partout les rendements augmentent : en 1789, il y avait 75 ha de vignes à Fontevraud, contre 129 ha en 1829. Entre temps, le rendement à l'hectare a été multiplié par 1,25 (de 8 à 10 barriques à l'hectare). Il s'agit toutefois pour beaucoup d'une activité pratiquée dans le cadre d'une polyculture et en 1829, on compte 346 propriétaires de vignes, ce qui ne fait qu'une moyenne d'à peine 0,4 ha par propriétaire. Ce développement agricole se traduit par l'édification de nouvelles infrastructures de transformation et le nombre de moulins à vent augmente nettement entre la fin de l'Ancien Régime et le milieu du XIXe siècle. Ces nouvelles constructions, toutes du type moulin cavier, sont à mettre à l'actif des principales familles de meuniers qui autrefois tenaient à ferme les moulins des abbesses.
La forêt de Fontevraud, ancienne possession des abbesses, jalousement administrée des siècles durant puis saisie comme bien national, est mise en vente en 14 lots par le Gouvernement en 1832. Ces immenses parcelles passent aux mains d'investisseurs extérieurs pour être revendues au détail, mais certains d'entre eux y implantent également des fermes modèles. En 1856, ces espaces forestiers voient aussi l'installation d'un établissement de jeunes détenus de la maison centrale de détention, qui en est distrait dès 1860 pour être intégré à la colonie pénitentiaire agricole voisine de Saint-Hilaire, à Roiffé. Ces initiatives qui se traduisent par la construction de bâtiments agricoles rationalisés n'eurent néanmoins pas de répercussions manifestes dans l'architecture rurale locale.
Par ailleurs, le XIXe siècle est marqué par la grande ampleur de l'exploitation du tuffeau, dans les carrières de Roches, mais aussi plus ponctuellement à la Socraie et aux Coteaux, en activité principale ou complémentaire.
Cet élan économique, particulièrement sensible dans la première moitié du XIXe siècle, dissimule le repli de certaines activités, l'apparition de nouvelles concurrences ou les échecs de certaines tentatives de mises en valeur, comme c'est le cas des fermes de la forêt.
Des mutations tous azimuts
En quelques décennies, en effet, les activités traditionnelles sont ébranlées, voire disparaissent. Le phylloxéra frappe le petit vignoble fontevriste. L'essor des minoteries industrielles provoque la fin de la meunerie artisanale et la commune, qui avait compté dix moulins (3 à eau et 7 à vent) au milieu du XIXe siècle, les voit dès lors cesser leur activité les uns après les autres ; peu après la Première Guerre mondiale, les meules ne tournent plus.
L'activité d'extraction se heurte à de nouvelles difficultés, comme les nappes phréatiques qui bloquent la progression des carriers des Roches en 1883. Plus généralement, à la fin du XIXe siècle, les bancs de tuffeau du secteur commencent à être épuisés. Dans ces mêmes années, ce matériau passe de mode et d'autres s'y substituent, brique et plus tard béton, qui renouvellent les pratiques constructives. L'exploitation du tuffeau s'éteint alors progressivement.
L'économie est durablement fragilisée et, dès le milieu du XIXe siècle, comme dans de nombreuses campagnes françaises, la déprise rurale et la faible natalité se font nettement sentir. Entre 1850 et 1930 Fontevraud perd le tiers de ses habitants, mais parvient à progressivement à stabiliser sa population, notamment grâce aux emplois directs et indirects liés à la maison centrale de détention. Les familles les plus pauvres sont les premières affectées par l'exode rural et les habitations les plus modestes que sont alors les abris troglodytiques connaissent un abandon massif, rupture sans précédent dans la structure de l'habitat local depuis de très longs siècles.
La ligne des tramways de Saumur à Fontevraud, ouverte en 1896, s'accompagne de l'arrivée de nouvelles activités qui se substituent alors progressivement aux anciennes. Ainsi, dans le dernier tiers du XIXe siècle, parallèlement à la présence des ateliers de la maison centrale de détention, une activité manufacturière se développe à Fontevraud-l'Abbaye, qui accueille les magasins d'un fabricant de boutons, puis une usine à gaz destinée à l'alimentation de la prison et du bourg. Vers 1913, de premiers ateliers d'une ganterie s'installent aux Roches, dont les bâtiments prennent de l'ampleur dans les années suivantes. Dans le même temps, sur le modèle d'exploitations parisiennes, la culture souterraine des champignons est introduite en val de Loire et des champignonnières investissent les galeries de la carrière des Roches en 1931. Elles s'accompagnent d'une industrie de conserverie, qui se développe surtout dans le troisième quart du XXe siècle. La filière périclite et la champignonnière ferme en 1979, tant sous l'effet de la concurrence que du fait d'effondrements survenus en tête de l'ancienne carrière qu'elle occupait. La forêt de Fontevraud, qui accueille un champ de tir dès la fin du XIXe siècle puis une base américaine durant la Première Guerre mondiale, voit la présence militaire se renforcer progressivement au fil du XXe siècle, sous l'égide de l'école de cavalerie de Saumur.
Enfin, le tourisme culturel, qui est aujourd'hui l'un des atouts majeurs de la commune, naît peu à peu à partir du début du XIXe siècle, sous diverses formes. Jean-François Bodin, dans ses Recherches historiques sur la ville de Saumur, ses monuments et ceux de son arrondissement, parues en 1812 et 1814, évoque parmi les premiers l'abbaye sous un angle que l'on pourrait qualifier de patrimonial. La génération romantique est séduite par le pittoresque et la ruine de ces sites, même si le regret est aussi formulé de la conversion de l'abbaye en prison. Les sociétés savantes, puis les premiers guides touristiques vantent à leur tour l'étape. La prise en compte de ce patrimoine exceptionnel se traduit par de premières protections au titre des Monuments historiques, avec le classement des principaux éléments de l'abbaye en 1840. Parmi les tout premiers travaux de restauration de celle-ci, on peut évoquer ceux réalisés sous la conduite de Jean-Joseph Christaud, directeur de la maison centrale de 1858 à 1870, qui emploie les compétences de certains détenus, sculpteurs ou maçons, pour remettre en état des bâtiments fortement endommagés depuis la période révolutionnaire. Les premiers chantiers menés par l'administration des Monuments historiques ont lieu dès la fin du XIXe siècle et, entre 1902 et 1910, l'architecte Lucien Magne intervient notamment sur l'abbatiale et la « Tour d'Évraud ».
La maison centrale de détention ferme ses portes en 1963. Toutefois, les petits effectifs de détenus affectés à la reconversion du site ne quittent les lieux qu'en 1985. Entretemps, les services des Monuments historiques œuvrent à faire disparaître la prison et à dégager les bâtiments conventuels de la gangue carcérale qui les enserrait. Il est en effet décidé de rendre son lustre à l'ancienne abbaye royale de Fontevraud et de mettre en valeur le site monastique. L'abbaye devient un chantier (depuis lors ininterrompu) et à partir de 1975 le Centre culturel de l'Ouest en assure l'animation, accueillant aujourd'hui près de deux cent mille visiteurs par an qui peuvent également profiter là d'une programmation qui explore tous les azimuts de la création intellectuelle et artistique.
Fontevraud-l'Abbaye tourne progressivement la page de la disparition de la prison, qui l'a vidée de forces vives puisque des dizaines de familles de gardiens et autres employés sont partis. Au milieu des années 1960, le lotissement de la Lizandière est mis en chantier, au sud-ouest du bourg. Ce projet est lié à l'extension de la base militaire, censée compenser le ralentissement économique et le dépeuplement de la commune à la suite de la fermeture de la maison centrale en 1963. Sous le nom de Lizandière II, un prolongement de ce lotissement, au sud-ouest, est livré au début des années 1980.
La décennie suivante compte d'importants aménagements. Vers 1990-1991, une voie rapide de contournement ouest du bourg est aménagée, depuis les Roches jusqu'aux Lizandières et à la route de Loudun. Dès 1992 et jusqu'au milieu des années 2000, un autre secteur, surtout, connaît des transformations majeures qui constituent une véritable rupture dans l'histoire de l'urbanisation de Fontevraud-l'Abbaye. Sur décision municipale et sous la houlette de l'architecte Jacques Chudeau, le site du Grand-Clos, vaste ensemble foncier vide d'habitations depuis neuf siècles au moins et séparant les zones habitées (bourg et écarts) de la commune, est en effet alloti pour devenir le centre jusqu'alors manquant du village. La salle des fêtes (actuel foyer Yves-Duteil) est d'abord réalisée, ainsi que le réseau de voirie et des parkings, puis dans la seconde moitié des années 1990, des logements sortent de terre, articulés autour de la place du Grand-Clos puis alignés le long de voies créées au fil des lotissements successifs.
Ce projet est le dernier acte de la rupture avec les contraintes nées de l'abbaye : le Grand-Clos participe depuis à la morphologie urbaine insolite et tentaculaire d'un bourg qui tente de rallier à lui divers écarts maintenus à distance des siècles durant par de larges espaces vides.
La commune, qui fait partie du périmètre élevé en 2000 au rang de patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco, se tourne vers la protection et la mise en valeur de son cadre de vie et de ses héritages. Un site inscrit avait déjà été délimité en 1970, mais la commune se dote en 2013 d'un instrument de gestion d'urbanisme sous la forme d'une Aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP, arrêtée en 2013). Enfin, une large partie des zones habitées de Fontevraud-l'Abbaye sont cette même année érigées en site classé.
Photographe auprès du Conseil départemental de Maine-et-Loire - Conservation départementale du patrimoine jusqu'en 2018.