Monsieur le Ministre,
Le 30 novembre dernier, le clocher élevé en 1874 sur le mur du portail de l´église de Guérande s´est écroulé, renversant le contrefort de gauche, le haut du mur ouest du bas-côté nord et détruisant la couverture et la charpente de la première travée de la nef. Des matériaux de la flèche lancés dans la direction du NO trouèrent le mur d´une maison et une partie de sa couverture. Heureusement, personne ne fut atteint.
La commission des Monuments historiques et l´Administration des Cultes se ont toujours désintéressés du projet de construction de ce clocher.
Au dire de M. le Maire de Guérande, il existerait même à la Préfecture de Nantes, une lettre ministérielle portant refus d´autoriser cette construction. Mais la municipalité n´eut pas connaissance de cette pièce. Elle fit procéder à l´adjudication des travaux, adjudication que la préfecture approuva.
L´entreprise était achevée lorsqu´en décembre 1874, un ouragan renversa les quatre clochetons des angles et produisit un ébranlement dans les maçonneries nouvelles et dans celles de l´ancien mur du 15è siècle. Une commission de trois architectes, appelée à donner son avis sur la solidité du clocher et de la façade déclara, après examen, ne rien apercevoir d´inquiétant.
Mais le conseil municipal, moins rassuré, crut devoir prendre des mesures de précaution et demander aux Beaux-Arts un secours en vue de réparer les dégâts.
La commission décida qu´il n´y avait pas lieu d´intervenir dans une affaire de construction neuve. Elle fit bien, car son intervention lui eut fait attribuer une part de responsabilité dans l´écroulement qui vient d´avoir lieu.
N´ayant été appelé à connaître ni le mode de construction du nouveau clocher, ni l´état de conservation du mur sur lequel on l´a monté, il me serait difficile, en présence des décombres amoncelés contre les deux faces du portail, de déterminer les causes de ce désastre.
Il résulterait toutefois des renseignements fournis par M. le maire de Guérande que le mur du 15ème siècle, trop faible pour résister à la charge du nouveau clocher, avait fini par se lézarder d´une façon si alarmante (il y avait augmentation de 4 millim. Par jour dans l´ouverture des lézardes) que l´administration locale avait dû en exiger la démolition. Cette opération était commencée quand survint l´écroulement. Avait-on pris les mesures nécessaires pour le prévenir pendant que l´on démolissait ? M. le maire de Guérande affirme que non. Je n´ai pu constater son dire.
Du reste, Votre administration n´a, à mon avis, pas plus de raison à intervenir, dans le cas présent, qu´elle n´est intervenue dans celui de l´édification du clocher.
C´est affaire à décider entre la municipalité qui a commandé l´architecte directeur des travaux et l´entrepreneur quia exécuté.
Heureusement, l´écroulement s´est fait dans la direction du nord-ouest, circonstance qui a sauvé la chaire extérieure ménagée dans le soubassement du contrefort de droite et l´escalier qui n´a point souffert. Les murs de nef touchant la façade, murs d´ailleurs déjà repris à diverses époques, n´ont été qu´ébrêchés à leurs sommets.
L´église St Aubin de Guérande qui a subi ce désastre, ne manque pas d´intérêt.
Son plan a la forme d´une croix latine terminée à l´orient par un mur droit. Des collatéraux bordent la nef et le chœur. Le bas-côté sud du chœur donne entrée à deux grandes chapelles carrées et à une petite salle basse de même forme. Un pilier à colonnettes occupe le milieu de cette salle et reçoit les retombées des arcs-doubleaux et diagonaux des quatre parties voûtées qui la recouvrent. Une seule chapelle s´ouvre dans le bas-côté nord et dans chacun des collatéraux de la nef près du transept.
Élevé au 12ème siècle, ce monument a été durant les 13è et 15è siècles l´objet de modifications et de reconstructions considérables.
À l´origine, il se composait de travées voûtées à plan carré sur la nef et les bas-côtés au moyen de piles intermédiaires posées entre les piliers principaux ; ceux-ci étaient composés de colonnes multiples, tandis que de grosses colonnes isolées formaient les piliers intermédiaires.
Cette disposition que l´on retrouve dans la nef de la cathédrale du Mans et dans les églises du XIIème siècle des provinces de l´est, fut, dès le milieu du XIIIème siècle, profondément modifiée.
Voulant donner plus d´élévation à l´édifice, les constructeurs de cette époque projetèrent de reporter les voûtes de la nef au sommet des murs. Supprimant les grandes voûtes à plan carré, ils transformèrent la partie haute des murs en triforium et disposèrent sur la face intérieure de ces murs des faisceaux de trois colonnettes engagées destinées à recevoir les retombées de voûtes. Celles-ci ne furent jamais construites, du moins il n´en subsiste pas de traces. Mais la position des faisceaux de colonnettes au droit de chacun des piliers du 12ème siècle prouve que les constructions d´alors abandonnaient dans la nef le système des voûtes à plan carré pour lui substituer celui des voûtes à plan barlong reproduisant la division de celle des collatéraux.
Au 15ème siècle, on entreprit la reconstruction complète de cette église.
S´appuyant sur la majeure partie des anciennes fondations, on éleva le chœur, le transept, la première travée de la nef à la suite, les chapelles et la façade principale.
Une interruption subite des travaux empêcha l´éxécution des voûtes et préserva de la démolition les deux travées subsistantes de la nef du XIIème siècle, remaniées au XIIIème siècle, et les murs de leurs collatéraux avec les bancs en pierre qui en forment le soubassement et portent les bases des colonnes engagées qui soutenaient les voûtes du XIIème siècle.
À défaut de voûtes en maçonnerie, l´église entière fut fermée, partie au moyen de plafonds en bois, partie en charpente apparente, portant berceaux en bardeaux.
Puis, on remblaya le sol intérieur au niveau du sol extérieur.
Depuis un vingtaine d´années, la fabrique de l´église St Aubin est parvenue à l´aide de souscriptions fournies par la population de Guérande, à déblayer et couvrir l´édifice, à réparer les piliers du 15ème siècle, à construire les voûtes du chœur et de ses bas-côtés, celles du transept et des chapelles.
Aux fenêtres, on a restitué les meneaux détruits. La grande fenêtre à l´orient du chœur qui occupe presque toute la surface du mur droit absidal a été entièrement remontée à neuf et garnie de vitraux peints donnés par les fidèles.
À l´extérieur, on a reconstruit plusieurs des arcs-boutants du chœur, réparé les maçonneries ruinées et rejointoyé les assises des parements.
Ces divers ouvrages ont été exécutés en dehors de la direction de votre administration qui, avec raison, n´a voulu prendre aucune part à cette entreprise.
L´ensemble de ces travaux, tout en laissant à désirer sur quelques points, notamment aux arcs surbaissés qui touchent au mur Est du chœur et présentent quelques disjonctions dans les maçonneries des arcs, a donné un résultat satisfaisant.
Aujourd’hui, les constructions du 15ème siècle, les seules restaurées, ont repris leur importance, et le service du culte a pu être réinstallé d´une façon décente.
On doit regretter que la consolidation de la face occidentale et la construction du clocher écoulé aient été moins bien traitées.
Faute de ressources suffisantes, la restauration de la porte du midi, des pignons du transept, des balustrades et d´une partie des corniches supérieures, a été négligée.
Quant à ce qui subsiste de la nef du XIIème siècle, on n´y a pas touché. C´est, au surplus, aujourd’hui la seule partie de l´église Saint-Aubin qui intéresse le service des Monuments et méritant que votre administration s´occupe de sa conservation.
Comme il a été dit plus haut, la disposition des travées et de leurs piliers n´est pas ordinaire ; puis les chapiteaux en granit offrent des sculptures intéressantes tant au point de vue de la composition des sujets qu´à celui de la vérité avec laquelle sont exécutés les scènes qu´ils représentent.
Parmi ces sujets sculptés seulement sur les chapiteaux des piliers nord, on remarque une chasse, un bateleur marchant sur les mains au son des cimbales et du violon ; des griffons ; St Laurent sur le gril ; un personnage couché sur le tour d´une roue et scié en long par deux individus.
Les chapiteaux des piliers sud sont décorés de chevrons et de crochets.
Ce reste de construction du XIIè siècle a passablement souffert des modifications apportées au XIIIème siècle à sa disposition première. Les murs sont lézardés, le triforium manque dans le mur méridional de la première travée ; les assises des piliers d´angle qui se lient à la face ouest sont fendues et déliaisonnées ; les piliers intermédiaires des anciennes travées ont perdu leur aplomb ; enfin, il n´existe plus ni voûtes, ni colonnes engagées dans les collatéraux.
M. le maire de Guérande ayant demandé à l´architecte diocésain de Nantes de rédiger un projet de restauration de cette partie de l´église St Aubin, je pense qu´avant de charger un des architectes attachés à votre service d´étudier cette question, il faut attendre que la commission ait été saisie de l´examen du projet commandé par M. le maire de Guérande.