Archives départementales de Maine-et-Loire ; 136 S 7. Mines et carrières. Carrières : pièces diverses (1817-1936).
1. Pétition de 79 habitants de Turquant et Parnay réclamant la fermeture de la carrière de la Maumenière, à la suite d'un éboulement (3 mai 1840).
Les pétitionnaires s'adressent au Sous-préfet de l'arrondissement de Saumur, pour se plaindre : [...] que depuis quelques mois, un éboulement qui a eu lieu dans le canton des Bournais, sur la commune de Montsoreau dans laquelle tous les susmentionnés possèdent différentes parcelles de terrain, a été pour eux l'avertissement qu'il était fait sous leurs propriétés des excavations clandestines qui devaient avoir pour but l'extraction du tuf qui se trouve à une certaine profondeur et pour résultat, outre la privation d'une matière qui était leur propriété, de compromettre la solidité de leurs terrains et d'en diminuer ainsi la valeur ; que l'éboulement qui vient d'être signalé fut même dénoncé à M. le Maire de la commune de Montsoreau et qu'en présence de ce Magistrat, il fut fait dans la carrière de la Maumenière, située en la commune de Montsoreau, par laquelle on devait supposer qu'avaient lieu ces excavations, une visite qui démontra que trop combien étaient fondées les craintes des propriétaires susnommés, qu'il fut même reconnu qu'on attaquait les faibles piliers de soutènement qui avaient été laissés depuis longtemps. Pourquoi les exposants vous supplient, Monsieur le Sous-préfet, de vouloir bien prendre les mesures nécessaires pour empêcher la continuation de travaux qui en privant les susnommés d'une matière qui est leur propriété peuvent occasionner chaque jour des accidents de la nature de celui qui vient d'être signalé et compromettre la sûreté des personnes et des propriétés [...].
A la suite de cette pétition, la Préfecture demande au maire de Montsoreau de faire fermer l'entrée des carrières de la Maumenière, ce qu'il refuse, au nom à la fois de ce qu'il estime être une exagération des pétitionnaires et de la nécessité impérieuse de maintenir les emplois que garantit l'activité de la carrière.
2. Première lettre du Maire de Montsoreau au Sous-préfet de l'arrondissement de Saumur (s.d. ; entre le 3 et le 25 mai 1840).
Monsieur le Sous-préfet,
Vous me recommandez avec instance, et comme chose facile, de faire fermer l'entrée des caves de la Momenière, parce que les mandataires de 79 propriétaires de terrains ainsi exploités, viennent de vous adresser de nouvelles observations sur cet état de chose. Je commencerai par vous dire que ces 79 plaignants se réduisent à 3 ou 4 qui sont allés de maison en maison quêter 75 ou 76 signatures qui leur ont été données, pour ainsi dire, de confiance et sans que le motif des observations signées fut parfaitement connu des signataires. Je vous dirai ensuite que les plaintes qui vous ont été adressées sont inexactes, sur la plupart des points, et fortement exagérées sur les autres. Il est faux qu'il y ait danger imminent pour les ouvriers, il est faux que tous soient sans responsabilité et il est encore faux qu'une grande étendue de terrain soit menacée d'affaissement. Les ouvriers qui ont passé toute leur vie dans les carrières ont fait une étude attentive de la qualité du rocher et comme ils ont au moins l'instinct de la conservation, aussitôt qu'ils s'aperçoivent que le rocher perd de sa qualité, ils abandonnent le chantier et se portent sur un autre point. Si il y a des siècles, les ouvriers qui ont ouvert les carrières manquaient d'expérience, n'ont pas laissé des voûtes dans quelques passages pour obtenir toute la solidité voulue, il n'en est pas de même de ceux qui ont travaillé depuis une centaine d'années. Le fond des caves est parfaitement taillé, des pilliers forts et raprochés garantissent la solidité de la voûte et si les pluies abondantes de l'hiver dernier ont occasionné deux affaissements de très peu d'étendue, ils ont eu lieu dans des passages abandonnés depuis longtemps. Quant à ce qui est de la solvabilité et de la bonne volonté qu'ont les carriers d'indemniser les propriétaires des dommages qui pourraient leur survenir, vous allez en juger : lorsque l'individu qui a donné lieu à la plainte qui vous a été faite eut un are et quelques centiares de son champ affaissés, les charretiers, tous gens dans l'aisance, allèrent le trouver et lui offrirent quoique l'affaissement se fut fait dans un chantier abandonné depuis bien des années, de faire estimer son terrain et qu'ils lui paieraient le double de l'estimation qui en serait faite consciencieusement, cet individu fait venir un compère qui estime ce terrain dont la valeur est tout au plus 300 francs la boisselée (5 ares 50 centiares), 1650 francs pour la petite partie ci-dessus nommée. Les charretiers répondirent : nous voulons bien payer le dommage le double de sa valeur réelle, mais non pas d'après une estimation qui la porte au quintuple de cette valeur. Ainsi faites-nous assigner, nous prierons le tribunal de nommer des experts. Et les choses en sont restées là.
Voilà qui est pour l'état des lieux et pour la solvabilité des travailleurs ; voyons maintenant ce qui résulterait de la fermeture des carrières. Depuis 8 à 9 cents ans au moins, ces caves sont ouvertes, elles sont la princpale industrie du pays, chaque jour 85 ouvriers, qui n'ont pas d'autres moyens d'existence, et dont la plupart, de père en fils, depuis des siècles, n'ont pas eu d'autres professions, y puisent la nourriture de leurs femmes et de leurs enfants ; si l'on joint à ce nombre les charrons, les forgerons, les mariniers que l'exploitation des carrières occupe, on peut dire, sans exagération, qu'elle donne le pain à 400 personnes, presque la moitié de notre population. Fermez ces chantiers, et 400 personnes tombent dans la misère ; la misère conduit au désespoir ; le désespoir conduit au brigandage et le brigandage exercé par 400 personnes affamées peut produire des malheurs incalculables.
Je crois, Monsieur le Sous-préfet, que ceux qui vous ont adressé des plaintes et vous demandent la fermeture des carrières se sont laissés dominer par la crainte chimérique de voir quelques centiares de leurs terrains s'affaisser de 7 ou 8 pieds (affaissements que les charretiers ne se refusent jamais de combler ni payer) et qu'ils n'ont pas compris toutes les conséquences fâcheuses qui pourraient résulter de l'exécution de leur demande.
Voilà, Monsieur le Sous-préfet, des observations que je soumets à votre sagesse. Je vous engage à les méditer, à les comparer à celles qui vous ont été adressées par les plaignants, et s'y après y avoir réfléchi vous persistiez à vouloir la fermeture des carrières, j'aurais à vous répondre qu'il n'est pas en mon pouvoir de la faire exécuter et que je ne pense pas qu'il y aît, à Montsoreau, quelqu'un qui osât s'en charger. Dans tous les cas, le travail qu'il y aurait à faire ne serait point aussi peu dispendieux que vous paraissez le croire. Il y a d'abord quatre grands ouvertures principales, de six à huit mètres de largeur environ, ensuite la plupart des habitations qui sont le long du coteau ont des portes qui ouvrent dans différents passages.
Recevez l'assurance du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Monsieur le Sous-préfet,
Votre serviteur,
Le Maire, François Moreau.
3. Seconde lettre du Maire de Montsoreau au Sous-préfet de l'arrondissement de Saumur (16 juin 1840).
Monsieur le Sous-préfet,
Comme maire de la commune de Montsoreau, par conséquent comme défenseur né des droits et intérêts de la commune, je crois devoir vous adresser encore quelques observations au sujet des carrières de la Monmeunière. Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, elles sont ouvertes depuis 8 à 900 ans ; cette date ne peut être contestée, à moins que ce ne soit pour la reculer encore. Le château de Montsoreau est du 11ème siècle, il est construit de pierres extraites de ecs carrières. Il est assez présumables que déjà elles étaient en exploitation lorsqu'il fut commencé. Depuis ce temps, elles ont continué à être la principale industrie du pays. Elles ne sont point la propriété d'un certain ordre d'ouvriers ; on peut dire qu'elles sont la propriété communale et commune des habitants, car tous citoyens manquant d'ouvrage, soit cultivateurs pendant l'hiver, soit tonnelliers lorsqu'il y a disette de vin, soit mariniers pendant les basses eaux ou pendant les glaces, vont dans ces carrières chercher les moyens d'existence. Les choses s'étant ainsi passées jusqu'à ce jour, sans troubles, sans oppositions et même sans observations de la part des propriétaires du dessus. Il a fallu qu'un homme peu consciencieux, qu'un homme qui a voulu profiter d'un petit accident pour se faire donner de grands dédommagements, soit allé trouver d'autres hommes pas beaucoup plus consciencieux que lui et qu'en leur montrant l'appât d'un peu d'argent, il les ait déterminés à se coaliser pour vous adresser une plainte, pour que mes concytoyens ayent été menacés d'être chassés de leurs ateliers.
Mais, monsieur le Sous-préfet, ces hommes ne vous ont présenté les choses dans leur vérité. Ils vous ont trompé en vous disant que les plafonds n'étaient pas solides ; nos carriers demandent avec instances que vous veuilliez bien faire visiter leurs traveaux, et, lorsque la solidité des lieux sera bien constatée, je pense que vous enverrez les plaignants se pourvoir devant les tribunaux pour la réparation du tort qu'ils disent leur être fait. Ces messieurs prétendent qu'ils obtiendront de vous l'ordre de faire fermer les carrières. Je ne pense pas que vous donniez jamais un pareil ordre, dès que vous aurez la certitude qu'il n'y a aucun danger pour les hommes.
Quant à la question de propriété, elle appartient aux tribunaux, et certes cette propriété ne pourrait guère moins être contestée, depuis huit à neuf siècles que les habitants de Montsoreau exploitent les carrières de la Monmeunière comme elles useraient d'un commun. Je le répète, sans trouble, ni opposition, ni observation, il me semble qu'une jouissance qui remonte à des temps ainsi reculés établit bien un droit incontestable et imprescriptible, et prouve clairement que c'est une servitude attachée à la propriété du dessus. Par conséquent nos carriers ne pensent être tenus qu'à la réparations des dommages qui résulteraient du fait de leurs travaux et ils ne s'y refusent pas, puisqu'il y a deux ans, ils sont allés trouver les plaignants pour leur offrir toutes les garanties désirables. Ceux-ci ont répondu qu'il ne s'agissait plus d'arrangements, ni de garanties, qu'ils avaient désiré que les carrières seraient fermées et qu'ils entendaient bien qu'il en fut ainsi. C'est une question qui ne peut être décidée que par les tribunaux, et je crois que dans un pareil état de chose, les carriers n'ont qu'à attendre qu'il leur soit fait sommation par le ministère d'huissier, et à la requête des plaignants, de se présenter devant le tribunal civil jugeant en instance. Là, ils feront valoir leurs moyens de défense et prouveront que leurs droits ne sauraient leur être enlevés par le manque de responsabilité ; à ce sujet vous avez dû voir dans une précédente, une contradiction en ce que dans un endroit je garantis la responsabilité et dans que dans l'autre je parle de la misère qui acablent 400 malheureux, si les carrières étaient fermées. Je ne vous ai probablement pas expliqué la manière dont se fait cette exploitation. Il y a dans l'intérieur des caves 70 à 80 ouvriers, presque tous sans fortune et par conséquent sans responsabilité. Mais ces individus font l'extraction du tuffeau pour le compte de huit charettiers où marchands de pierres qui sont les seuls responsables et ces huit charretiers réunis présentent une garantie d'au moins 200,000 F en propriété. Ainsi, avant qu'il y ait 200,000 F de terrain affessées, il s'écoulera encore des siècles, et alors il se trouvera probablement encore des garanties suffisantes.
Voilà, monsieur le Sous-préfet, les nouvelles observations d'après lesquelles j'espère mieux éclairer votre religion et vous engager à laisser continuer l'exploitation des carrières de la Monmeunière, comme par le passé.
Agréez l'assurance du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Monsieur le Sous-préfet,
Votre très humble serviteur,
Le Maire, François Moreau
Montsoreau, le 16 juin 1840.
Photographe auprès du Conseil départemental de Maine-et-Loire - Conservation départementale du patrimoine jusqu'en 2018.