I. Contexte institutionnel et objectifs
Dans le cadre d'une convention de coopération avec Nantes Métropole, le service du Patrimoine de la Région des Pays de la Loire a programmé pour la période 2017-2020 une opération d'inventaire sur les Rives de Loire. Elle répond à la volonté de la Région de replacer le fleuve, « épine dorsale de notre région et de son identité, mais aussi vecteur majeur de son économie », au cœur des politiques régionales en matière de culture et de patrimoine, d'environnement et de tourisme. Cette ambition se traduit notamment par les contrats de territoire, l'adhésion au programme Natura 2000, ou le plan Loire IV pour 2015-2020.
L'étude des rives de la Loire sur le territoire de Nantes Métropole s'inscrit dans une thématique de recherche cohérente sur les réseaux fluviaux à l'échelle régionale, principalement sur les confluences ou l'estuaire de la Loire. Ce dernier aspect a été à l'origine du programme Estuarium, initié en 1995 par la direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire, et mené par le service régional de l'Inventaire, l'Université de Nantes et le CNRS (UMR 6554) autour de la recherche, la mise en valeur et le développement du patrimoine culturel de l'estuaire de la Loire.
Plus largement, elle contribue à mettre en perspective les différentes études menées et la documentation disponible sur le patrimoine lié à la Loire, notamment pour la ville de Nantes, et à poursuivre cette étude à l'échelle des communes de la Métropole riveraines du fleuve. Elle sera enrichie des données recueillies lors d'opérations menées sur les sites industriels ou portuaires de l'estuaire (construction navale en Basse-Loire, canal maritime de la Basse-Loire, Cordemais, Donges, Paimbœuf), ou des apports des études en cours sur les rives du fleuve (Coteau saumurois, Confluence de la Maine et de la Loire, Commune de Saint-Nazaire).
Pour Nantes Métropole, cette opération est une des mesures issues du grand débat citoyen Nantes, la Loire et nous, organisé en 2014-2015, qui a révélé une forte demande des habitants et des acteurs locaux pour mieux connaitre, préserver et mettre en valeur les rives du fleuve. C'est pourquoi le Conseil métropolitain s'est engagé le 15 décembre 2015 sur trente actions, dont la dernière s'intitule : Dresser l'inventaire du patrimoine matériel et immatériel « Loire ». En outre, ce partenariat prolonge la coopération initiée entre la Ville de Nantes et la Région lors de l'opération d'inventaire du patrimoine du quartier du Bas-Chantenay.
L'objectif est de produire une synthèse sur le territoire de l'agglomération nantaise. L'enquête principale porte sur la connaissance d'un espace fluvial (le rôle structurant des îles, l'enjeu du franchissement du fleuve, la colonisation des espaces riverains…), dans la ville-centre et dans son espace environnant.
La finalité de l'opération est de compléter, d'enrichir et de mettre en perspective les informations recueillies autour des thèmes croisés de la ville, de son territoire et du fleuve. Elle vise à renouveler la lecture de l'espace urbain, périurbain et rural à travers un élément majeur de son identité, la Loire, et à considérer les modes de développement et d'usage qu'elle a engendrés, ainsi que les formes que cette occupation a adoptées. Elle contribuera à nourrir la réflexion autour du patrimoine et de l'espace ligériens à l'échelle de la Région.
II. Descriptif de l'opération
a. Délimitation de l'aire d'étude
L'aire d'étude s'étend le long du fleuve à l'échelle de Nantes Métropole, sur une période comprise entre le Moyen Âge et l'époque contemporaine. Afin de boucler le périmètre topographique et thématique, elle a été élargie à deux communes de la rive sud amont situées hors-métropole (hors convention) : Saint-Julien-de-Concelles et La Chapelle-Basse-Mer.
L'occupation des rives de la Loire est attestée dès l'Antiquité, mais l'essentiel des témoignages de l'aménagement et de l'exploitation progressive de l'espace mouvant de la Loire et de ses rives n'est pas antérieur au Moyen Âge. Les îles sont investies probablement depuis l'Antiquité, tandis que les rives sont peu à peu fixées et les prairies humides stabilisées, favorisant une occupation et des activités en relation étroite avec le fleuve. Ce phénomène est principalement étudié à partir des époques moderne et contemporaine (XVIIIe-XXe siècles) durant lesquelles les grandes mutations urbaines, portuaires et industrielles confèrent progressivement à un territoire la forme et le contour que nous lui connaissons.
1. Configuration géographique du territoire, situation et site
1.1. Aire urbaine (entre le pont de la Vendée et le pont de Cheviré)
Nantes a été fondée sur la rive droite de la Loire, axe d’échange majeur et débouché maritime depuis l'Antiquité. Point de contact essentiel entre la Bretagne, l'Anjou et le Poitou, entre l'espace maritime océanique et le monde continental de la Loire, la ville a très tôt été confrontée à la question déterminante du franchissement du fleuve. Son histoire s'est écrite autour de cette double vocation de port et de pont sur la Loire.
Pour la ville de Nantes, l'aire d'étude est contenue entre les deux rives du fleuve dans leur état de 1926 (avant le comblement du bras nord qui entourait l’île Feydeau), la rive nord marquant la limite de la ville intra-muros, et la rive sud du bras de Pirmil, dont le nom évoque l'ancienne place forte défendant la ligne de ponts. Cette ligne de circulation de près de deux kilomètres, seul axe de franchissement de la Loire jusqu'en 1966, a structuré cet ensemble d'îles peu à peu rassemblées pour former l'île de Nantes. Elle a favorisé sur la rive sud le développement des faubourgs de Pirmil-Saint-Jacques et de Pont-Rousseau (Rezé), points de contrôle des routes du Poitou et d'Aquitaine, et le développement au XIXe siècle d’activités artisanales et industrielles au bord de la Loire et de l'Erdre.
Ce territoire de comblement que forme à Nantes le lit de la Loire est devenu à partir du XVIIIe siècle une terre d'extension urbaine, puis d'activités portuaires et industrielles. Il est le fruit de projets d'aménagement lentement poursuivis et parfois contrariés : canalisation du fleuve, lotissement des îles Feydeau et de la Madeleine, de la Prairie-au-Duc, Reconstruction, ZUP Beaulieu-Malakoff, ZAC Gloriette-Hôtel-Dieu, Madeleine-Champ-de-Mars, Île-de-Nantes.
Le transfert des chantiers navals sur la Prairie-au-Duc à la fin du XIXe siècle ouvre pour un siècle une autre rive du fleuve à l'industrie. L'empreinte industrielle a définitivement marqué le paysage bâti composé de maisons, d'immeubles à logements, d'équipements, d'usines et de nombreux ateliers, et actuellement en pleine reconversion.
Dans cet espace ainsi défini, l'étude comprend la façade du quai de la Fosse (étendue jusqu'au château), l'île Feydeau, le quartier Gloriette-Hôtel-Dieu, celui de la Madeleine (étendu au canal Saint-Félix et à la frange du quai de Malakoff) et l'île de Nantes. Sur la rive sud, elle intègre le quartier de Pirmil-Saint-Jacques ainsi que, sur la commune de Rezé, le quartier de Pont-Rousseau et les anciennes îles (Trentemoult, North-House, la Basse-Île, la Haute-Île).
1.2. Aire métropolitaine
Sur le territoire des communes de la métropole riveraines de la Loire (Basse-Goulaine, Bouguenais, Couëron, Indre, La Chapelle-Basse-Mer, La Montagne, Le Pellerin, Mauves-sur-Loire, Saint-Herblain, Saint-Jean-de-Boiseau, Saint-Julien-de-Concelles, Saint-Sébastien-sur-Loire, Sainte-Luce-sur-Loire, Thouaré-sur-Loire), l'aire d'étude comprend les rives du fleuve et la plaine alluviale, avec les îlots rocheux et les atterrissements stabilisés.
Elle embrasse des espaces aujourd'hui parfois bien éloignés de la rive actuelle. Elle s'étend sur le lit majeur du fleuve et prend pour limite les contreforts du sillon de Bretagne au nord et le coteau du Pays de Retz au sud, en intégrant les zones humides rivulaires ainsi que, sur la rive sud en amont, les polders gagnés grâce à la construction de la levée de la Divatte.
L'opération concerne un espace riverain dont l'environnement, le paysage bâti, la vocation et les activités sont liés à la présence (actuelle ou ancienne) du fleuve (agglomérations et habitat, installations portuaires, artisanales et industrielles, ouvrages d'art, etc). Afin d'appréhender au mieux ce territoire dont le périmètre est souvent difficile à discerner, et d'intégrer les zonages des plans locaux d'urbanisme (PLU) retenus comme cadre par Nantes Métropole pour les 30 engagements pour la Loire, la limite de l'aire d'étude suit, sur les rives nord et sud, le trait du coteau et les bourgs et villages qui y sont implantés.
Selon la pertinence des éléments et ensembles rencontrés, cette limite sera ajustée lors du repérage. Ainsi, dans les agglomérations fortement urbanisées (Saint-Sébastien-sur-Loire, Saint-Herblain), l'enquête se limitera à la frange la plus proche du fleuve. Dans les zones plus rurales, la forme et l'étendue du paysage permettront d'envisager un périmètre moins contraint.
2. Périodisation
L'évolution de l'aménagement des rives de la Loire sera considérée selon trois grandes périodes :
• Moyen Âge et Renaissance : l'invention d'un territoire. Consolidation de l'implantation sur les rives et les îlots rocheux de la Basse-Loire. Fixation de la ligne de ponts à Nantes. Mise en place d'une structure territoriale féodale et monastique, contrôlant également les activités fluviales (circulation, commerce). Début de la domestication des prairies humides (étiers, vannes, ponts), aménagement des ports de Couëron et du Pellerin et des petits ports d'étiers. À partir du XVIe siècle, développement du commerce maritime avec l'Europe ;
• XVIII siècle : la ville et son espace d'influence. Réalisation de la façade urbaine et portuaire de Nantes (quai de la Fosse étendu, îles Feydeau et Gloriette, chaussée de la Madeleine), sur un territoire en partie conquis. Création d'un chenal estuarien de navigation, début de l'endiguement de la Loire et aménagement de Paimbœuf comme avant-port de Nantes. Aménagement de nouvelles activités (portuaires, artisanales, industrielles) et de nouveaux types d'occupation (demeures de villégiature) ;
• XIXe et XXe siècles : la conquête du fleuve. Consolidation des sites industriels et portuaires de Nantes (Chantenay-Fosse, Prairie-au-Duc) et glissement de l'activité vers l'estuaire (Couëron, Indre, canal maritime de Basse-Loire). Érection de la levée de la Divatte pour protéger sur la rive sud les terres gagnées sur le lit du fleuve. Essor de nouveaux usages sur les rives (loisirs et petite villégiature). Dans le 2e quart du XXe siècle, comblement du bras principal de la Loire et déviation souterraine du cours de l'Erdre à Nantes.
Les témoignages repérés et étudiés, pour leur part, s'échelonnent principalement entre le XVIIIe siècle et la seconde moitié du XXe siècle. Au Siècle des lumières sont réalisés les premiers aménagements portuaires et proto-industriels d'envergure sur la Loire, ainsi que les travaux d'embellissement et d'extension urbaine à Nantes. La période contemporaine intègre les projets de reconstruction après la Seconde Guerre mondiale ainsi que, dans une certaine mesure, les grandes métamorphoses urbaines caractéristiques des Trente Glorieuses.
3. Les formes du bâti
Dans la ville de Nantes et à son débouché sud (faubourgs de Pirmil-Saint-Jacques et de Pont-Rousseau), le bâti est principalement lié aux phases d'urbanisation successives entre le XVIIIe et le XXe siècle. Il concerne pour une large part l'habitat (quartiers, îlots, immeubles et demeures particulières), mais également l'espace et les édifices publics, la voirie et les aménagements qui permettent de comprendre l'évolution de l'espace urbain, et de saisir l'enjeu qu'a constitué durant des siècles, pour la cité et son territoire, le franchissement du fleuve et la circulation nord-sud.
Dans les communes de la métropole bordées par la Loire, il s'agit de repérer et d'étudier l'habitat traditionnel des rives, mais également la forme de l'espace bâti, bourgs insulaires ou de plateau, écarts ou éléments isolés structurant les prairies humides ou les marais stabilisés. L'intérêt se dirigera également sur les différentes formes d'espaces et d'installations liées au fleuve (domaines féodaux et monastiques, aménagements hydrauliques, sites portuaires, demeures de villégiature), dont les plus anciens témoignages peuvent remonter au Moyen Âge et ont joué un rôle déterminant dans l'évolution du territoire et la transformation de son paysage.
À Nantes comme dans l'étendue de l'agglomération, une attention particulière sera portée aux ensembles industriels et portuaires, ainsi qu'aux ouvrages d'art déployés le long du fleuve et sur sa largeur (ponts, quais, digues, canaux, écluses). Ce réseau a fortement marqué le paysage urbain et périurbain des XIXe et XXe siècles qui en garde de nombreuses traces mais, devenu inutile après le retrait ou la modernisation des activités auxquelles il était lié, il constitue aujourd'hui un patrimoine d'autant plus fragile, et difficile à appréhender dans son homogénéité.
b. Les enjeux scientifiques
1. Intérêt scientifique de l'opération
Pour la Région des Pays de la Loire comme pour Nantes Métropole, cette opération permet de mettre en forme l'important matériau réuni au sujet des îles de Nantes, de compléter cette étude urbaine et de la poursuivre à l'échelle des communes de la Métropole riveraines du fleuve, mais aussi plus largement de mettre en perspective les différentes études menées et la documentation disponible sur le patrimoine de la Basse-Loire. La situation et le rôle déterminant de Nantes sur le fleuve, point de rupture de charge des navigations fluviale et maritime, mais surtout zone de rétrécissement de la plaine alluviale permettant son franchissement sur un chapelet d'îles, donne tout son sens au périmètre de l'aire d'étude.
L'étude vise à souligner la cohérence et la complémentarité des problématiques rencontrées dans l'espace de la ville et son environnement fluvial le plus large. Il convient de considérer le fleuve lui-même (franchissement, navigation, réseau de ports), ses rives mouvantes (îlots rocheux, prairies humides et marais, atterrissements) et les activités qu'il a pu engendrer ou favoriser (commerce fluvial et maritime, artisanat et industrie, agriculture, viticulture et maraîchage).
Il s'agit de :
• identifier et représenter un paysage fluvial composé au gré des changements du cours de la Loire ou des transformations humaines (îles, prairies humides, marais) ;
• analyser l'évolution d'un espace rivulaire dans un environnement urbain, périurbain et rural souvent contraint (franchissement, comblement, circulation, activités) ;
• renouveler l'approche du bâti des rives de Loire, notamment l'habitat, parfois aujourd'hui éloigné du fleuve (paléo-ports, anciens bourgs insulaires) ;
• compléter la connaissance des usages liés à la présence du fleuve, à son exploitation (navigation, commerce, artisanat, pêche), voire à son agrément (loisirs, séjour).
Dans le cadre de l'agglomération nantaise, comme dans une dimension régionale, l'étude permettra de montrer les liens entre un élément structurant (le fleuve) et le territoire qu'il a largement contribué à modeler (les rives), selon plusieurs pistes de réflexion :
• Le fleuve et ses rives
Fleuve indiscipliné au débit imprévisible, la Loire forme un territoire à part entière que ses habitants et ses usagers ont assez tôt cherché à maîtriser. Tout au long de son cours, les impératifs de la navigation et des installations portuaires ont nécessité l'entretien de son lit et la formation d'un chenal d'étiage, mais également l'aménagement de balisage, épis, chevalage, autant d'éléments qui, s'ils n'ont pas toujours laissé de trace visible, ont durablement marqué le visage du fleuve.
Lignes mouvantes par nature, les rives de la Loire ont été continuellement modifiées par le cours changeant du fleuve créant ou effaçant des espaces au contour et au caractère incertains. Le retrait du fleuve, qui se manifeste progressivement par l'ensablement d'une partie de son ancien lit ou l'assèchement de ses étiers et de leurs ports, en laissant place à des boires et des roselières, a dessiné de nouveaux espaces naturels qui ont séparé définitivement la Loire de ses anciennes berges et en ont perturbé la perception.
D'autres espaces rivulaires, en revanche (prairies humides, marais inondables ou atterrissements), ont été convoités, colonisés, drainés et asséchés dès le Moyen Âge par les seigneurs religieux (abbayes de Buzay puis de Blanche-Couronne) ou laïcs, qui ont créé un nouveau territoire aujourd'hui encore si caractéristique des rives de la Loire.
• L'architecture et le patrimoine fluviaux
L'étude des rives de Loire dans l'agglomération nantaise prend place parmi les recherches sur les « territoires de l'eau » menées depuis une dizaine d'années par l'Inventaire général, sur lesquelles elle s'appuie et qu'elle vient compléter. Elle apporte une contribution intéressante, à l'échelle nationale, à la connaissance de l'aménagement des fleuves par l'administration des ponts et chaussées, des infrastructures portuaires et du patrimoine fluvial.
Pour le premier aspect, la comparaison s'impose avec l'étude menée par la Région Centre-Val de Loire sur les aménagements portuaires liés à la navigation sur la Loire moyenne, autour de problématiques, d'enjeux et de témoignages semblables. On retrouve, à un autre stade de son cours, les questions de la gestion du fleuve, des travaux d'entretien et des aménagements indispensables pour assurer la navigation, mais aussi des nouveaux usages consécutifs aux changements radicaux du trafic portuaire.
De manière générale, l'étude sur le paysage industriel de la Basse-Seine présente un parallèle convaincant avec la Basse-Loire ; il s'agit aussi d'une voie d'eau majeure aménagée de longue date, ponctuée d'un port ancien de première importance et de son avant-port, ce qui a contribué à composer un paysage industriel dense et un type de navigation particulier.
Les études du Havre et de Dunkerque, pour leur part, pourront offrir des pistes de réflexion autour de l'évolution de grands ports, de la reconstruction urbaine et industrielle après la Seconde Guerre mondiale, et des problèmes de reconversion d'un patrimoine fragile.
2. Les problématiques scientifiques
Il s'agit de comprendre comment l'espace du fleuve et de ses rives s'est peu à peu constitué, et comment l'homme est intervenu dans la transformation de ce paysage construit si caractéristique de l'identité de la Loire.
À travers les témoignages les plus significatifs du patrimoine bâti, l'enjeu est de considérer une architecture au regard de son environnement, de ses formes et de ses usages.
Les axes de recherches retenus sont :
• le repérage et l'étude des éléments liés à l'occupation des rives de Loire
• l'analyse de l'évolution des espaces riverains
• l'étude des caractéristiques de l'habitat lié à la présence et à l'activité du fleuve
Plus précisément, l'étude des rives de Loire dans l'agglomération nantaise permet de poser les enjeux de l'évolution et de la transformation d'un territoire complexe :
• Coloniser et valoriser
Malgré son instabilité, les habitants des rives de la Basse-Loire ont su très tôt tirer parti des spécificités du paysage fluvial pour y trouver les conditions de sa maîtrise et de son occupation. Véritables points d'ancrage dans le lit incertain du fleuve, les îlots rocheux de la Loire ont été, sans doute depuis l'Antiquité, des sites d'implantation privilégiée entre les deux rives. Autour d'eux, les atterrissements ont souvent permis d'augmenter considérablement les surfaces utiles aux installations comme aux activités. Les prairies humides, domestiquées dans le même temps, ont également participé à l'invention de ce territoire.
À Nantes, l'histoire urbaine du XVIIIe au XXe siècle, du lotissement de l'île Feydeau à la création de l'île de Nantes, est en grande partie celle de la colonisation progressive de zones instables du fleuve (atterrissements, prairies inondables, boires) peu à peu comblées, remblayées et endiguées.
• Circuler et échanger
La situation de la Loire, limite stratégique et politique sur le territoire de la France de l'Ouest, a très tôt donné à l'espace géographique nantais une importance déterminante. Dès l'Antiquité romaine, le port de Ratiatum (actuelle commune de Rezé), au carrefour de voies terrestres, fluviales et maritimes, devient le principal port de l'estuaire. Sur la rive opposée, la cité de Condevicum (Nantes), pour sa part, tire rapidement parti de sa position estuarienne pour devenir à l'époque moderne le premier port de la façade atlantique française.
Ponts avancés sur le fleuve, les îlots rocheux ont été de longue date les vecteurs du franchissement de la Loire, à gué ou embarqué, et contribué à la domestication progressive du fleuve et de son territoire. À Nantes, l'archipel qui s'étire entre les rives a permis d'établir dès le Moyen Âge une longue ligne de ponts et de chaussées reliant la ville close à la tour de Pirmil, qui contrôlait l'accès aux routes vers le sud. Les premières occupations de ces îles se sont implantées le long de cet axe que matérialise toujours la chaussée de la Madeleine.
• Conquérir et exploiter
Espace varié et changeant, les rives de Loire composent un territoire en partie gagné sur le fleuve, comme en témoignent les diverses formes de leur occupation. Protégés des dangers du fleuve, les îlots rocheux ont abrité très tôt des installations portuaires, comme à Indre ou à Trentemoult, ou servi d'appui à un axe de franchissement du fleuve, comme à Nantes. La modification du régime du fleuve a fixé des atterrissements autour de ces îlots qui, complétés des prairies humides consolidées, ont peu à peu formé un territoire d'occupation et d'exploitation humaines. Il s'agit là, notamment, de toute l'histoire des îles de Nantes.
Ce territoire ainsi constitué a accueilli à l'époque moderne, à Nantes comme dans son aire d'influence, des activités commerciales et industrielles qui ont contribué à en fixer les rives, mais aussi à modifier le régime du fleuve et à en déterminer durablement la vocation. Les problèmes de navigation et d'accessibilité du port de Nantes, question déterminante tout au long de son histoire, ont en effet contraint dès le XVIIIe siècle le transfert d'une partie de l'activité du grand port vers l'aval. La fondation de la fonderie d'Indret est la première étape de ce processus qui s'est accentué jusqu'à nos jours, vers Paimbœuf puis Saint-Nazaire.
c. Les modes d'approche et leur application
• Caractériser un paysage construit
L'étude permettra d'identifier le territoire rivulaire de la Loire et de comprendre sa formation. L'action conjuguée du fleuve et de l'homme ont peu à peu élaboré un patrimoine hydrologique aussi étendu que varié. Les vastes zones humides du Pellerin et de Couëron, mises en valeur par les moines des abbayes de Buzay puis de Blanche-Couronne, composent un espace naturel encore aujourd'hui régulé par des étiers, des vannes et des écluses. C'est dans cet environnement, au lieudit La Martinière (commune du Pellerin), qu'a été creusé en 1895 le canal maritime de la Basse-Loire. En amont de cette même rive sud, la levée de la Divatte a permis de poldériser à partir de 1847 de vastes terres agricoles et maraîchères.
À Nantes, la transformation de l'espace fluvial a été encore plus radicale. La création de l'île Feydeau au XVIIIe siècle, sur une « grève » de l'île de la Saulzaie, est emblématique de l'urbanisme du Siècle des lumières. Il s'agit surtout de la première tentative réussie d'aménagement complet d'un atterrissement, étape pionnière de ce mouvement vers le sud qui, en suivant la ligne de ponts, a permis peu à peu d'intégrer à l'espace urbain l'île de la Madeleine, puis la Prairie-au-Duc et les îles et prairies formant aujourd'hui l'île de Nantes.
• Comprendre un réseau
Parmi les sites de l'estuaire formant dès la fin du XVIIe siècle le système portuaire nantais, on distingue les ports de Loire encore en activité (Couëron, Le Pellerin) des petits ports d'étiers peu à peu envasés et séparés de leur débouché fluvial : les paléo-ports (ports-reliques ou ports-fossiles). Comme sur d'autres rives de l'estuaire, on y observe une double dynamique longitudinale (glissement des activités vers l'estuaire) et transversale (déplacement des sites portuaires depuis les étiers envasés vers un bras de la Loire). Leur comparaison devrait s'avérer riche d'enseignement, comme l'apport de l'étude de Paimbœuf.
Les installations sur les rives ne sont elles-mêmes pas le fruit du hasard. Souvent situées au carrefour de routes commerciales terrestres et fluviales, elles confortent la position centrale du fleuve entre l'arrière-pays et son débouché maritime, mais aussi entre des territoires. Favorisé par la topographie, l'établissement de la ligne de ponts de Nantes a très tôt confirmé l'importance stratégique de la cité. Là où de tels aménagements n'étaient pas possibles, les bacs et touages ont permis de mettre en contact étroit les rives entre elles. Ces relations sont également une des clefs de lecture de l'aire d'étude et son évolution.
• Analyser l'occupation d'un territoire
Afin d'entrer dans les limites de l'aire et de la problématique d'étude, l'échelle opérationnelle la plus pertinente comme unité d'approche est celle de l'implantation de l'habitat. Dans le périmètre de la plaine alluviale, elle concerne les agglomérations (villages insulaires, bourgs du trait de coteau), ainsi que les installations isolées ou en écart situées à l'intérieur de cette ligne. Pour les villages insulaires, il s'agira de comprendre l'organisation du bâti, l'implantation et la forme de l'habitat, la délimitation de l'espace fluvial et les relations avec ce dernier. Pour les bourgs de coteau, le plus souvent établis sur la ligne de crête mais dominant la plaine alluviale, le rapport au fleuve et à ses activités devra être particulièrement questionné.
Paysage emblématique de Nantes comme de l'estuaire, les sites industriels et portuaires qui ponctuent les rives du fleuve feront bien entendu l'objet d'une attention particulière et circonstanciée, qui bénéficiera des résultats des études réalisées sur les sites de Donges et de Cordemais, et sur la construction navale en Basse-Loire.
d. Le contenu et le calendrier des différentes phases
1. État des connaissances, recherche documentaire et exploitation
La réflexion et la recherche d'information ont pour finalité de réunir les éléments de connaissance préalable de l'aire et de la thématique d'étude, et d'en saisir l'intérêt et les enjeux afin de déterminer des problématiques pertinentes.
Sur le territoire communal de Nantes, l'étude sur les rives de Loire peut déjà s'appuyer sur l'importante documentation déjà réunie par le service du Patrimoine de la Région (dépouillement d'archives et de bibliographie, reproduction de documents iconographiques, fonds de dossiers d'inventaire et éléments de synthèse) : façade urbaine des quais, île Feydeau, île de Nantes.
Les dossiers existants sur l'aire et la thématique d'étude retenues seront intégrés et exploités dans l'étude.
Dans un premier temps, la recherche documentaire préliminaire comprend les publications générales et spécialisées sur l'histoire urbaine de Nantes et de son territoire limitrophe, les ouvrages et études spécialisés sur la Loire, et particulièrement sur la Basse-Loire armoricaine, ainsi que les revues savantes locales ou nationales.
Pour la ville de Nantes, les dépouillements d'archives seront effectués principalement aux Archives municipales :
- série DD : biens communaux, eaux et forêts, travaux publics, voirie (Ancien Régime)
- série HH : agriculture, industrie, commerce (Ancien Régime)
- série 2 F : commerce et industrie
- série 3 F : agriculture
- série M : édifices communaux, monuments et établissements publics
- série N : biens communaux, terres, bois eaux
- série O : travaux publics, voiries, moyens de transports, régime des eaux
- série T : urbanisme
Pour les autres communes de la Métropole, les dépouillements d'archives seront effectués principalement aux Archives départementales de Loire-Atlantique : la Métropole, les dépouillements d'archives seront effectués principalement aux Archives départementales de Loire-Atlantique :
- série E (féodalité) et H (clergé régulier) pour l'Ancien Régime
- série 7 M : agriculture, eaux et forêts
- série O : administration et comptabilité communales (19e siècle-1939)
- série 3 P : cadastre ancien
- série S : travaux publics et transports
- série Fi : documents figurés
Les riches fonds iconographiques des établissements patrimoniaux nantais (médiathèque Jacques-Demy, musée d'Histoire de Nantes/château des ducs de Bretagne, musée départemental Thomas-Dobrée) seront également consultés, et si besoin reproduits.
Seront également consultés les dossiers de protection des immeubles au titre des Monuments historiques (DRAC des Pays de la Loire/CRMH).
Ces sources seront complétées en cours d'étude par des recherches d'information appropriées. Les archives privées et collections particulières seront également sollicitées.
2. Enquête de terrain, production et traitement des données
Sur le territoire riverain des communes concernées sont identifiés et étudiés la transformation par l'homme de l'espace naturel du lit du fleuve (paysages, aménagements, activités), la forme et l'évolution des ensembles bâtis (villages, ports, sites industrialo-portuaires) ou éléments isolés, les réseaux structurants, les bâtiments majeurs et l'habitat.
L'application de repérage Juno 2 permet de disposer d'une grille de repérage électronique géo-référencée et illustrée, facilement exploitable, selon les caractères pertinents que les premiers arpentages de terrain auront permis de retenir pour l'habitat (situation, typologie, structure, etc), et que le repérage systématique permettra de compléter et d'affiner. Les éléments étudiés, sélectionnés selon ces critères (édifices ou ensembles majeurs et/ou structurants), seront cartographiés, comme les éléments repérés qui contribuent de même à élaborer et consolider des typologies.
3. Restitution, diffusion, valorisation des résultats
Les données recueillies sont publiées sous la forme de dossiers électroniques avec le logiciel de saisie Gertrude, et consultables en ligne sur www.gertrude.paysdelaloire.fr
Pour Nantes Métropole, les résultats de l'opération alimenteront un wiki-patrimoine (www.patrimonia.nantes.fr).
Des contacts seront établis avec les acteurs locaux du patrimoine, afin de pouvoir échanger des informations et des réflexions, faciliter l'accès aux sources et aux édifices, et solliciter des contributions.
Comme toute opération d'inventaire, l'étude des rives de Loire établit l'état des lieux d'un territoire qui peut alimenter un système d'information géographique (SIG), dans le cadre de l'aménagement et du développement durable du territoire, être utilisé comme outil de sensibilisation et de valorisation du patrimoine, ou inspirer des projets éducatifs et culturels.
Dans une perspective plus large, l'étude pourra aussi constituer une ressource pour le schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), adopté en 2009 par le Conseil régional des Pays de la Loire. Elle pourra par ailleurs nourrir les réflexions autour de la préservation de l'environnement de l'estuaire de la Loire, qui intègre les notions de patrimoine naturel et bâti, ainsi que les questions liées aux pratiques et aux usages.
4. Calendrier prévisionnel
2016. Préparation du cadre de l'étude
• pré-repérage et délimitation du périmètre de l'aire d'étude
• état des lieux de la documentation disponible
• rédaction de la convention de partenariat et du CCST
• élaboration et test de l'application de repérage
• paramétrage de l'aire d'étude dans Gertrude
2017. Repérage
• repérage sur le terrain
• recherches et exploitation documentaires
• identification des problématiques d'étude
• campagnes photographique
• restitution d'étape ou médiation
2018-2021. Étude
• enquête de terrain et saisie des données
• recherches et exploitation documentaires
• campagnes photographiques
• contrôle et correction des dossiers
• restitutions d’étape ou médiation
2022. Restitution et valorisation des résultats
• mise en ligne des dossiers
• opération de médiation liée à cette ultime étape
Chercheur, Service patrimoine, Région Pays de la Loire.